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Opportunités pour une loi-santé


Santé conjuguée n° 52 - avril 2010

L’idée de la loi-santé est de faire en sorte que chaque initiative prise par le Gouvernement fasse l’objet d’un avis du ministre de la Santé. C’est une revendication de la Fédération des maisons médicales, exprimée dans son cahier de propositions politiques depuis 2007. Rencontre avec Latifa Sarguini, Hubert Jamart, Olivier Mariage et Pierre Drielsma, permanents politiques de la Fédération.

D’emblée, les permanents politiques de la Fédération rappellent que cette proposition est en parfaite cohérence avec la philosophie défendue par les maisons médicales. La santé est déterminée par des soins médicaux accessibles, mais aussi et surtout par une action à différents niveaux sur des éléments de notre environnement et de l’organisation de la société. Les politiques relatives à l’enseignement, à l’emploi, à l’environnement ont, parmi d’autres, une influence importante sur la santé de la population. En prévision des élections régionales de 2009, la Fédération a organisé une table ronde avec des représentants des partis politiques pour questionner, entre autres, la perspective d’une « loi-santé » en Belgique. Les politiques se sont montrés à la fois favorables sur le plan philosophique et réticents face à la complexité de la mise en œuvre d’une telle loi. Elle serait pourtant d’autant plus utile aujourd’hui que nous atteignons un niveau de développement où la croissance économique, sur laquelle se fonde le libéralisme, ne produit plus de plus-value pour la santé et le bien-être de notre population1. Une loi-santé, pourquoi serait-ce compliqué ? Pour faire avancer des dossiers qui nécessitent des changements de mentalité, il faut du temps. Les partis traditionnels sont perplexes par rapport à l’idée, mais rien ne dit que d’ici quelques années, ils ne vont pas la revendiquer. C’est aussi une question de culture, de vision des choses. La Belgique n’a pas de législation globale en santé publique, comme cela existe par exemple au Canada. Les lois qui organisent les questions de santé sont morcelées (exemple : loi sur les hôpitaux, loi sur les produits toxiques,…), les institutions également (fédéral/régions, INAMI/ Santé publique). Cependant, la notion de transversalité est déjà inscrite au niveau fédéral où le service public fédéral Santé rassemble la sécurité de la chaîne alimentaire et l’environnement. L’idée de la loi-santé est de faire en sorte que chaque initiative prise par le Gouvernement fasse l’objet d’un avis du ministre de la Santé. Il faut aller au-delà d’un avis purement politique en s’appuyant sur le travail d’un groupe d’experts qui puisse se référer à une littérature internationale et appuyer sa décision sur des observations scientifiquement établies. Or, du côté des scientifiques, il est très compliqué d’obtenir de l’unanimité. Surtout quand les vérités deviennent complexes, la scientificité de l’analyse du système complexe diminue. De plus, la science n’est pas neutre. Les lobbies industriels, notamment ont une certaine capacité de placer leurs experts dans les comités scientifiques, comme on le voit lorsque certains s’appliquent à démontrer que le tabac n’est pas cancérigène. Il faudra que ce soit le politique qui décide et pas le scientifique. Le scientifique n’est là que pour apporter des informations qui permettent au politique de prendre des décisions.

Leviers

Des choses changent. Énumérons quelques uns de ces changements qui peuvent servir de leviers pour faire monter en puissance le projet de loi-santé. L’homme a besoin de perspectives positives pour vivre. La perspective positive depuis deux siècles, c’est la croissance. Si elle a apporté des progrès au niveau social et sanitaire notamment, elle arrive cependant à sa limite. Des questions comme celle de la limitation des ressources naturelles commencent à questionner le libéralisme. La notion de croissance est mise en cause dans certains milieux scientifiques, au sein de l’opinion publique. Apparaît la distinction entre croissance quantitative et qualitative. Une loi-santé pourrait ouvrir vers de nouvelles perspectives positives pour la société en donnant la priorité à autre chose qu’aux aspects financiers. Actuellement, chaque projet de loi est évalué par rapport à son impact sur le budget de l’état. Il pourrait y avoir un regard « santé publique » sur les politiques des différents ministères. Environnement et santé sont regroupés au sein d’un même ministère, ainsi que la sécurité de la chaîne alimentaire. C’est déjà une manière d’en reconnaître l’influence sur la santé. S’appuyer sur ce qui se fait déjà et qui pourrait se faire à des niveaux politiques accessibles comme le niveau communal. A ce niveau, il est possible d’impliquer la population en veillant à concerter, de manière à éclairer l’ensemble des enjeux. Les gens savent ce qui fait leur santé. Quand on le leur demande, en plus des soins la majorité intègre des dimensions comme le travail, le logement, l’éducation… Une perspective serait d’augmenter la scientificité des choses. On pourrait avoir plus d’exigences et demander aux scientifiques de répondre à des questions de plus en plus précises, comme la question de la croissance en lien avec l’augmentation de la santé. S’appuyer sur les Droits de l’Homme, la Constitution. La réforme de l’État qui s’annonce pourrait ouvrir des perspectives pour parler d’une loi-santé et repositionner les choses. Ce qui est le plus difficile, c’est d’ouvrir un cadre quand il est fixé. Or, il est en train de bouger. A différents niveaux, l’expertise du médecin généraliste est reconnue et sollicitée en matière de lien entre la santé et le logement, le travail et d’autres domaines encore. Par exemple, des patients sollicitent des attestations médicales pour donner du poids à leur demande à une société de logement social de leur commune. La capacité de contestation de la population est en augmentation. Il est intéressant de s’appuyer sur cette capacité pour propager l’esprit critique plutôt que l’esprit de contradiction. Ça passe par l’information, l’implication, la participation ! Pour une nouvelle culture de la santé Dans la société et dans la sphère politique, la perception de la santé a fort évolué. Le terrain mûrit pour aller vers une perspective législative. Il faut poursuivre… Parler de ça partout où on peut ! C’est une question de culture. Plus on en parle et plus ça passera dans la culture. C’est un travail de fond qu’il faut mener, avec des perspectives sur du long terme. Le simple fait de passer un dossier quelconque sous la loupe et d’en évaluer l’impact sur la santé est en soi intéressant. Même en dehors d’un cadre législatif, faire l’exercice du lien entre différents facteurs et la santé apportera beaucoup en termes de changement.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 52 - avril 2010

Les pages ’actualités’ du n° 52

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- G.R.A.S.

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Trente ans après Alma-Ata, soixante ans après la création de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le dernier rapport sur la santé dans le monde clame la pertinence et l’actualité des soins de santé primaires (SSP).(…)

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Le monde des études d’impact sur la santé (EIS)

Etudes d’impact sur la santé : du pourquoi au comment

Depuis plus d’un demi siècle, il est communément admis que la santé déborde de beaucoup le champ de la médecine et convoque le social, l’économique, l’environnemental, le politique et nombre d’autres domaines. Jusqu’il y a peu,(…)

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Le téléphone cellulaire au volant

Au Québec, nous avons accompli d’importants progrès en matière de sécurité routière. Dans les années 1970, nous avons atteint des records en termes de mortalité, avec plus de 2 000 morts par an sur les routes.(…)

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Forces et faiblesses de l’étude d’impact en santé dans la lutte contre le tabagisme passif en Suisse. Un processus complexe où le politique se saisit de l’outil.

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Une bonne idée n’est pas forcément une idée facile à mettre en pratique. Des obstacles de tous ordres se lèvent sur son chemin, parfois prévisibles, parfois inattendus. L’évaluation des impacts en santé n’échappe pas à la(…)

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Loi-santé : des enjeux culturels

La loi-santé, une idée toute simple mais qui paraît si compliquée à mettre en œuvre. C’est que c’est à un véritable changement de paradigme que doivent travailler nos politiques !

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Pour un plan national Santé

La Plate-forme d’action santé et solidarité organisait, en mars dernier, une table ronde sur trois propositions qui mettent en œuvre une perspective d’action publique transversale sur la santé.

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ECOLO veut une loi-santé

L’introduction d’une loi-santé implique de repenser les fondements de l’action publique en santé.

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Contre les inégalités en santé

En 2007, la Fondation Roi Baudouin initie un groupe de travail composé de représentants du secteur de la santé et de l’aide sociale au sens large – dont des pouvoirs publics, des mutuelles, des associations, des(…)

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Quels sont les obstacles structurels à la mise en place d’une loi-santé en Belgique ? Pour Ri De Ridder, « il n’y a pas d’obstacle structurel à la mise en place d’un dispositif transversal pour définir(…)

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D’un niveau l’autre

L’approche globale de la santé et de tous ses déterminants est affaire d’intégration horizontale intersectorielle, mais, dans une Europe des régions, où le centralisme d’Etat n’est plus la norme de l’organisation publique, où cohabitent des états(…)

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Le plan de cohésion sociale de la Région wallonne

Le Gouvernement wallon s’est engagé dans sa Déclaration de politique régionale à mettre en oeuvre une région solidaire, en insistant sur le fait que la solidarité et le développement de la lutte contre toutes les formes(…)

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Vers une loi-santé

Depuis de nombreuses années, la Fédération des maisons médicales se bat pour plus de promotion positive de la santé, et notamment pour « L’élaboration d’une « loi-santé » qui permette d’évaluer a priori l’impact de toute(…)

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Introduction

Introduction

Durant tout le XVIIIème siècle, la notion de souveraineté du peuple est montée en puissance jusqu’aux révolutions qui ont changé la face du monde avec la promulgation de la Constitution des Etats- Unis (1787) et la(…)

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Sources

Quelques sources utilisées pour construire ce cahier

– Guide pratique : Évaluation d’impact sur la santé lors de l’élaboration des projets de loi et règlement au Québec : http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2006/06-245-01.pdf – Les expériences d’évaluation d’impact sur la santé au Royaume-Uni et leur traduction dans(…)

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