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Le nombre total de personnes émigrant du sud vers le nord a doublé au cours de ces dernières décennies. Parmi elles, le nombre de femmes en âge de procréer augmente constamment. Quel est l’état de santé périnatale des bébés de ces femmes ? Etude menée à Bruxelles auprès de différents groupes de femmes immigrées.

Paradoxe épidémiologique

Un certain nombre d’études, principalement réalisées aux Etats-Unis font référence à un « paradoxe épidémiologique » : les femmes immigrantes ont des issues de grossesses favorables malgré leurs conditions socio-économiques défavorables[A]. Cependant, d’autres études montrent que la mortalité périnatale – mortalité à partir de 22 semaines de grossesse jusqu’à 6 jours après la naissance – varie selon les groupes ethniques, et qu’elle est plus élevée chez les femmes migrantes[B,C]. Plusieurs études américaines rapportent également que la bonne santé des migrantes diminue avec le temps passé aux Etats-Unis, suggérant une modification des facteurs de risque maternels et infantiles après la migration[A]. Il est possible qu’un processus d’acculturation soit ici à l’œuvre – les femmes migrantes adoptant progressivement les croyances et les comportements de la société d’accueil, moins favorables à leur santé[D]. La relation entre le statut d’immigration et les issues de la grossesse n’est donc pas claire ; en outre, les résultats périnataux varient selon le pays d’origine de la mère et le pays d’accueil[B]. A partir de ces constats en sens divers, nous nous sommes demandé si l’adoption de la nationalité a une influence sur la santé. Nous avons voulu creuser cette question en examinant l’adoption de la nationalité belge chez les immigrants : a-t-elle une influence sur les issues de grossesse à Bruxelles ? Les objectifs de cette étude étaient de décrire et d’analyser la mortalité périnatale et les causes de décès en fonction de la nationalité à l’accouchement versus la nationalité d’origine de la mère à Bruxelles, entre 1998 et 2008. Nous avons pour ce travail utilisé les bulletins statistiques de naissances et de décès des enfants de moins d’un an dont la mère résidait en région Bruxelles-capitale, entre 1998 et 2008. Ces bulletins donnent des informations sociodémographiques et médicales ; ils fournissent aussi la cause de décès codée selon la classification internationale des maladies (CIM-10). Le statut socio-économique du ménage est évalué par le nombre de parents ayant des revenus de travail déclaré. Cet indicateur est construit à partir des informations portant sur la situation au moment du relevé et sur l’état de l’union ; il permet d’évaluer la situation de précarité des ménages[F]. Un petit poids de naissance est défini par un poids < 2500gr et une naissance prématurée par un âge gestationnel de < 37 semaines. Les nationalités ont été groupées en 7 catégories : belge, marocaine, marocaine naturalisée belge, Afrique sub-saharienne, Afrique sub-saharienne naturalisée belge, Turque, Turque naturalisée belge. Les taux de mortalité périnatale ont été estimés en fonction des caractéristiques sociodémographiques et de la nationalité de la mère[efn_note]La régression logistique a été utilisée pour estimer les Odds Ratio (OR) de l’association entre la mortalité périnatale et la nationalité de la mère, après ajustement pour les variables suivantes : âge de la mère, parité, naissances multiples et niveau socio-économique.[/efn_note].

Devenir belge : un facteur de protection ?

Entre 1998 et 2008, 83 622 naissances ont été enregistrées pour nos 7 groupes de nationalités dans la région Bruxelles-Capitale. Les mères marocaines et turques (naturalisées et non naturalisées) ont significativement moins de bébés de petits poids de naissance et de naissances prématurées que les mères belges. En revanche, les naissances prématurées sont significativement plus nombreuses chez les mères d’Afrique sub-saharienne (naturalisée et non naturalisées) que chez les Belges. Les mères étrangères qui ont la même nationalité à la naissance et à l’accouchement présentent un excès de mortalité périnatale par rapport aux mères belges. Néanmoins, pour ces mêmes nationalités, lorsque les mères ont adopté la nationalité belge, la mortalité périnatale n’est plus significativement différente de celle des mères belges. Pour les mères d’Afrique subsaharienne, l’excès de mortalité périnatale s’explique principalement par une fréquence supérieure d’accouchements prématurés, de petit poids de naissance et un niveau socio-économique défavorable. On observe une plus forte incidence d’hypertension, de diabète et d’infections dans ce groupe ethnique[C]. Chez les femmes marocaines et turques, on observe des poids de naissance favorables, des accouchements plus fréquemment à terme ; elles ont aussi un meilleur niveau socio-économique. Pourtant, elles ont un taux plus élevé de mortalité périnatale que les femmes belges, principalement dû à des malformations congénitales, des asphyxies et des décès inexpliqués avant le début du travail. Ceci peut être lié à la consanguinité[G], et/ou à des différences dans l’utilisation et l’accès aux services de soins de santé[H]. Dans notre étude, l’adoption de la nationalité belge, qui est une mesure indirecte de l’acculturation est associée à une diminution de la mortalité périnatale pour toutes les causes de décès. Ceci montre que la santé des migrants a tendance à converger vers le niveau de santé de la population hôte, pour différentes raisons : les mères qui ont acquis la nationalité belge peuvent, notamment, être plus familières avec la langue et le système de santé. Elles souffrent donc moins des barrières culturelles et linguistiques qui limitent l’accès aux services de santé prénatale et conduisent à des inégalités dans la surveillance de la grossesse, en particulier chez les nouveaux immigrants. D’autres changements culturels, comme la diminution des mariages entre cousins dans les populations turques et marocaines peuvent également expliquer la baisse de mortalité périnatale due à des anomalies congénitales.

Conclusion

En région Bruxelles-capitale, la mortalité périnatale et les causes de décès varient en fonction de la nationalité des mères. Mais l’excès de mortalité périnatale chez les mères marocaines, turques et d’Afrique sub-saharienne ne persiste pas après l’adoption de la nationalité belge. Une amélioration de l’utilisation et de l’accessibilité des soins de santé chez les nouveaux migrants devraient être mises en place.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 65 - septembre 2013

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