Aller au contenu

Manger, et manger sain !


Santé conjuguée n° 75 - juin 2016

De nombreuses organisations d’aide alimentaire s’intéressent à la qualité des aliments distribués, mais aussi au contenu des assiettes ou encore aux habitudes alimentaires des bénéficiaires. C’est que de l’aide alimentaire à la nutrition et aux questions de santé, il n’y a qu’un pas : beaucoup de travailleurs et bénévoles tentent de le franchir.

La qualité, un défi au quotidien

Pour la Concertation Aide alimentaire, il est essentiel de veiller à ce que la qualité des produits distribués dans le cadre de l’aide alimentaire soit au rendez-vous. En effet, la pauvreté a un impact considérable sur l’état de santé à tous les âges de la vie et ce, dès la naissance. La plupart des problèmes de santé s’expliquent par une interaction de plusieurs éléments parmi lesquels l’alimentation est un facteur clé. Ainsi, les populations en situation de précarité économique sont également les plus touchées par des maladies telles que l’obésité ou le diabète, fortement liées à l’alimentation1. Pourtant, à ce jour et malgré les efforts de nombreux intervenants, la qualité nutritionnelle de l’aide alimentaire n’est pas toujours au rendez-vous. Parmi les trois formes d’aide alimentaire, la distribution de colis est la plus critiquée par les bénéficiaires : les produits sont décrits comme « insuffisants », « pas assez variés », « trop de féculents et pas assez de légumes », « pas très bons » et les possibilités de choix sont extrêmement réduites, ne permettant pas de répondre à l’ensemble des besoins d’une personne ou d’une famille : « C’est du dépannage. On vous donne deux saucisses, un bout de fromage… Avec ça, vous n’en avez pas pour une semaine. ». (I., usager, 60 ans, 29/04/2015) Témoignages tirés de la Recherche-action « L’aide alimentaire aujourd’hui, le droit à l’alimentation demain », H.O. Hubert, J. Vleminckx, Fédération des services sociaux, janvier 2016. Le Fonds européen d’aide aux plus démunis représente une part très importante des denrées distribuées : selon la Fédération belge des banques alimentaires, en 2014, environ 50% de l’aide alimentaire qui a transité par ses entrepôts proviennent du Fonds européen d’aide aux plus démunis.

L’aide alimentaire sous contrainte

L’approvisionnement du secteur de l’aide alimentaire provient de plusieurs sources, notamment les collectes auprès du grand public, la récupération des invendus auprès de la grande distribution et de l’industrie alimentaire et le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD). Les produits du Fonds européen d’aide aux plus démunis sont des produits de base comme du lait, de l’huile, des pâtes, etc. Le règlement européen qui organise leur distribution est assez contraignant ; les états membres participant au Fonds ainsi que les organisations assurant la distribution des produits ont dès lors peu de marges de manœuvre pour utiliser les budgets disponibles au mieux des intérêts des bénéficiaires ou pour en maximiser la plus-value sociale. Ainsi, en Belgique, le Fonds se limite à financer la distribution d’une aide matérielle ou de denrées alimentaires gratuites aux plus démunis. Les produits concernés ne peuvent pas être vendus. Les épiceries sociales n’ont donc pas le droit d’intégrer à leur gamme de produits des denrées du Fonds européen d’aide aux plus démunis. Elles proposent pourtant une forme d’aide intéressante, dans la mesure où elles offrent la possibilité de constituer un panier d’achats variés mais moins chers que dans les magasins classiques. Le choix des produits proposés dans le cadre du Fonds européen d’aide aux plus démunis dépend aussi d’autres facteurs. Par exemple, la nécessité d’offrir des plats tout préparés pour les publics qui ne sont pas en mesure de cuisiner comme les sans-domicile fixes ou les personnes qui ne disposent pas d’une cuisine opérationnelle. Les contraintes des organisations elles-mêmes sont également un facteur déterminant dans la qualité de l’aide alimentaire et dans le choix des services proposés. Ainsi, beaucoup d’organisations d’aide alimentaire ne font pas de distribution quotidienne. Elles n’ouvrent leurs portes que quelques jours par mois. Cela rend la gestion de produits frais relativement compliquée et oblige nombre de ces organisations à opérer à partir de denrées de conservation longue. Autant de limites dont les organisations doivent tenir compte dans la composition de l’aide alimentaire. Le Fonds européen d’aide aux plus démunis passé au crible Compte tenu de toutes ces contraintes, la Concertation Aide alimentaire s’est penchée, avec des spécialistes de la santé mais aussi avec des bénéficiaires, des travailleurs et des bénévoles sur la composition des colis alimentaires. Les produits provenant du Fonds européen ont ainsi été passés au crible en 2014 pour en évaluer la qualité nutritionnelle. Ils ont également été soumis à l’appréciation de bénéficiaires d’organisations d’aide alimentaire. Produits distribués en 2014 dans le cadre du Fonds européen d’aide aux plus démunis : Lait demi-écrémé stérilisé Saumon en conserve Filets de maquereaux à la sauce tomate Carbonnade de bœuf Macaronis coupés Purée de pommes de terre nature en flocons Tomates pelées concassées en cubes Petits pois très fins et jeunes carottes Champignons de Paris, pieds et morceaux Cocktail de fruits au sirop léger Huile d’arachide Confiture extra aux quatre fruits rouges Céréales petit-déjeuner (blé soufflé enrobé de miel)  Pudding en poudre au goût vanille Les carbonnades de bœuf ont ainsi été examinées : en terme de répartition du budget du Fonds européen d’aide aux plus démunis, elles représentaient le deuxième produit le plus cher du colis à l’unité. C’est pourtant un produit de très faible qualité : il contient à peine 40% de bœuf mais des quantités importantes de graisse, sel, additifs et sucre, et il présente également de nombreux risques allergènes (blé, crustacés, poissons, lait et soja). Parallèlement, il est très peu apprécié des bénéficiaires tant pour son goût que du fait de son caractère non halal. Certains services ont eu à distribuer des milliers de boîtes de ces carbonnades qu’ils parvenaient difficilement à écouler. Le travail systématique d’analyse de la qualité des « produits FEAD » a permis de dégager les lignes de recommandations à l’intention du service public fédéral Intégration sociale, l’organisme de gestion de ce fonds. Ces recommandations sont par exemple de supprimer les produits ne présentant pas d’intérêt nutritionnel et/ou comportant un indice glycémique élevé. C’est le cas par exemple, de la purée de pomme de terre en flocons, des céréales soufflées au miel pour le petit déjeuner ou du pudding à la vanille en poudre. Ces produits étaient jusque-là massivement présents dans les colis alimentaire. Le rapport suggérait également de privilégier des produits de base, peu transformés qui présentent un bon intérêt nutritionnel et s’intègrent facilement dans toutes les cultures alimentaires, comme par exemple les conserves de tomates pelées. Une autre recommandation est d’intégrer des critères de qualité dans les cahiers des charges à destination des fournisseurs : teneur en eau raisonnable, nombre limité d’additifs, etc. Ces derniers mois, 782 associations et CPAS participant au Fonds européen d’aide aux plus démunis ont été approvisionnés en lait, huile d’olive, céréales pour le petit déjeuner, confiture, lentilles, pâtes ou encore compote de pommes. Les lentilles et l’huile d’olive notamment ont été introduits suite aux recommandations de la Concertation Aide alimentaire. Reste maintenant à poursuivre le travail de monitoring et de recommandation concernant le Fonds européen d’aide aux plus démunis et à évaluer l’accueil réservé aux nouveaux produits par les personnes qui en sont bénéficiaires. Cela dans un souci d’évaluation et d’amélioration constant. Face aux insuffisances de l’aide alimentaire : la débrouille Quel que soit le type d’aide considéré, il apparait indispensable, pour les bénéficiaires, d’acheter des produits à côté de l’aide alimentaire, insuffisante en quantité ou en diversité. Les grandes surfaces et magasins « discount » ainsi que les marchés représentent les sources d’approvisionnement privilégiées, notamment pour se fournir en fruits et légumes. Cependant, certaines des personnes sont dans l’incapacité d’acheter des denrées hors de l’organisme d’aide alimentaire, faute de moyens suffisants. Pour celles-là, le cumul des aides alimentaires constitue généralement une nécessité pour subvenir à leur besoin. Face aux insuffisances de l’aide alimentaire, les usagers font également preuve de créativité et de débrouille. Prendre en compte l’ensemble de leurs ressources permet de tordre le cou au stéréotype répandu du bénéficiaire incapable de gérer son budget et de se nourrir sainement. Par exemple, pour éviter d’accumuler certains produits (ce qui est dû au manque de diversité dans les distributions notamment) ou encore de jeter ceux dont elle n’a pas usage, une bénéficiaire rencontrée a choisi de procéder à des échanges de denrées via des sites Internet de troc : « Depuis que je viens aux colis, je me suis inscrite sur des sites. Il y a «Bruxelles récup›», il y a «Echange je ne sais pas trop quoi»,… Au lieu de jeter, au lieu de donner, autant l’échanger. » (M., usagère, 28 ans, 10/03/2015). D’autres usagers témoignent d’imagination pour composer des plats appétissants et équilibrés avec les produits, peu diversifiés, reçus dans les colis « Je cuisine de tout avec rien. Par exemple les petits pois et carottes, ce n’est pas trop le truc de mes enfants. Alors, on fait du cake, des quiches, et en avant, tout va dans tout. » (O., usagère et bénévole, 53 ans, 27/04/2015). Témoignages tirés de la Recherche-action « L’aide alimentaire aujourd’hui, le droit à l’alimentation demain », H.O. Hubert, J. Vleminckx, Fédération des services sociaux, janvier 2016.

Documents joints

  1. Observatoire de la santé et du social Bruxelles, « Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2010 ».

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 75 - juin 2016

Prologue

Il y a quelques années encore, dans l’imaginaire de la plupart des citoyens occidentaux, l’aide alimentaire se déployait surtout dans des pays lointains au bénéfice de populations touchées par des guerres ou des catastrophes naturelles. Elle(…)

-

Aide alimen… quoi ?

Pendant longtemps, le problème de la précarité alimentaire est resté largement méconnu et ignoré tant par le politique que par le grand public. Aujourd’hui, ce problème sort de l’ombre à la faveur de la montée en(…)

- Deborah Myaux

L’aide alimentaire en pratique

L’offre en matière d’aide alimentaire est extrêmement diversifiée. Parmi les différents types d’aides alimentaires que l’on peut rencontrer, les trois principaux modèles sont la distribution de colis alimentaires, les restaurants sociaux et les épiceries sociales. A(…)

-

Manger, et manger sain !

De nombreuses organisations d’aide alimentaire s’intéressent à la qualité des aliments distribués, mais aussi au contenu des assiettes ou encore aux habitudes alimentaires des bénéficiaires. C’est que de l’aide alimentaire à la nutrition et aux questions(…)

- Deborah Myaux

De l’aide alimentaire à la santé… Tout un réseau !

Depuis 2013, des maisons médicales et des organisations d’aide alimentaire se sont alliées pour travailler ensemble sur le droit et l’accès à une alimentation de qualité pour tous dans le cadre de l’aide alimentaire. Serge Perreau(…)

- Brigitte Grisard, Paul Hermant, Serge Perreau

Ce qu’en disent les bénéficiaires

Comment les personnes qui ont recours à une aide alimentaire perçoivent-elles cette aide, la manière concrète dont elle s’organise, les rapports humains qu’elle occasionne ? Que disent-elles de tout cela ? La rencontre avec les bénéficiaires(…)

- Hugues-Olivier Hubert, Justine Vleminckx