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Lieux d’accueil de la petite enfance, carrefours du lien social


Santé conjuguée n° 57 - juillet 2011

Souvent les services auxquels nous recourons sont organisés d’en-haut ou de loin et réduisent l’usager à un rôle de consommateur dépersonnalisé dont on n’attend que de la passivité. Ce n’est pourtant pas une fatalité, comme le montrent des initiatives à taille humaine et à ancrage local et dont la vitalité fait souvent tâche d’huile. Exemple du Réseau des initiatives enfants-parents-professionnels (RIEPP).

Né en 2007 à l’initiative de parents et professionnels de l’enfance, le Réseau des initiatives enfants-parents-professionnels soutient divers projets participatifs de lieux d’accueil pour les enfants. Mêlant approche respectueuse de la diversité, citoyenneté active et partenariat entre parents et professionnels autour des enfants, ces projets se caractérisent notamment par les liens tissés avec leur environnement : quartier, village, etc. Loin d’être des îlots perdus en pleine mer, ils ont au contraire jeté l’ancre dans un endroit précis, qui les façonne autant qu’eux-mêmes contribuent à la vie locale. De la conception à la naissance du lieu d’accueil Comme souvent, pour qu’il y ait conception, il faut une rencontre. C’est elle qui rend l’idée féconde, dès l’instant où elle rassemble des acteurs, qu’ils soient parents ou professionnels, autour d’une idée, d’un projet qui réponde à leurs besoins et/ou à ceux des personnes qu’ils côtoient. Dans le cas de l’Arbre à Papillons, à Anderlecht, c’est l’énergie conjointe des habitants, d’associations du quartier et de personnes-ressources qui a permis l’émergence d’un projet de crèche « à implication parentale » dans le quartier de la place Lemmens, avec la bénédiction de la commune d’Anderlecht (pouvoir organisateur de la future crèche) et de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) qui subventionnera le personnel. Le projet d’accueil élaboré ensemble par les partenaires favorise l’implication des parents et la participation de la crèche à la vie du quartier. Les habitants y voient non seulement l’occasion d’une émancipation, grâce à la création attendue de nouvelles places d’accueil pour les enfants, mais aussi une manière de revaloriser l’image du quartier et de contribuer à sa dynamique. La gestation d’un tel projet prend souvent du temps. Ainsi, à Louvain-la-Neuve et à Limelette (Ottignies), il a fallu quelques années et la mobilisation tenace de quelques-uns pour permettre que voient le jour, respectivement en 2004 et en 2009, les deux premières crèches parentales de Belgique. Dans ces crèches, les parents sont associés à la vie quotidienne (par une présence régulière au côté des professionnels) et à la gestion de la crèche (participation à l’assemblée générale, au conseil d’administration, …). Là aussi, il a fallu rassembler, imaginer, clarifier, expliquer, défendre le projet, tout en lui permettant d’évoluer au fil des rencontres et des étapes. L’implication des différents acteurs concernés (parents, commune, ONE, habitants, associations locales, etc.), dès la conception, dans un projet construit et porté en commun, favorise son adéquation aux besoins spécifiques et aux réalités des familles et son ancrage dans la vie locale. Lorsque chacun des acteurs concernés, selon son rôle, contribue pour partie à la fabrication de « l’ADN » du projet, celuici acquiert assez rapidement sa place dans le quartier. Porté par une mobilisation collective, il naît avec un réseau déjà constitué autour de lui, qu’il alimente en retour et contribue à renforcer. Le projet voit le jour et fait ses premiers pas Dans le cas de la garderie parentale d’Anderlecht, située dans le quartier populaire et multiculturel Aumale-Wayez, ce sont des parents du quartier qui se sont mobilisés, avec une animatrice du lieu de rencontre parentsenfants « le Pazapaz », pour mettre sur pied en 2008 une solution d’accueil pour les tout-petits deux matinées par semaine dans les locaux du lieu de rencontre. Les parents se relaient, en compagnie de l’animatrice, pour accueillir les enfants les uns des autres. Ils ont élaboré le projet d’accueil ensemble, avec l’animatrice, et continuent à se réunir régulièrement pour piloter collectivement son évolution. Cette solution répond à leur besoin d’une formule d’accueil souple, ponctuelle, ouverte à leurs spécificités, où ils peuvent déposer leur enfant en confiance et à leur rythme. C’est un lieu de socialisation pour leur enfant, mais aussi pour eux-mêmes : l’implication dans la vie quotidienne et le pilotage du lieu d’accueil favorise les échanges entre les parents, la création de liens forts entre eux et la mise en avant de leurs compétences. Pour certains, il s’agit d’une première occasion de sortir de l’isolement et même de s’impliquer dans un projet collectif dans leur quartier. Leur participation est valorisée, leur parole est entendue et leur pouvoir de décision est réel. C’est ce portage collectif, sur base d’un fonctionnement démocratique, qui garantit l’articulation entre les attentes et besoins de chacun et la définition du bien commun. D’un côté, le projet collectif transcende les préoccupations et intérêts individuels. La place faite à chacun dans les décisions qui affectent le projet permet au parent d’être dans une position d’acteur plutôt que de consommateur. Cela s’observe notamment avec les nouveaux venus : malgré l’importante rotation des familles accueillies, l’implication des parents ne faiblit pas, elle se renouvelle. Elle est progressive mais bien réelle, chacun prenant à son rythme la place qui lui est réservée. D’un autre côté, cette implication collective des parents nourrit le projet d’accueil. Il lui permet de rester en phase avec les besoins des familles, crée des espaces de dialogue et de cohésion sociale et renforce les liens entre le lieu d’accueil et le quartier. Quel que soit le type de lieu d’accueil, participer à la vie du quartier, à l’occasion d’une fête ou autre événement local, en sortant au parc, à la plaine de jeux ou au magasin avec les enfants et les parents, inviter les voisins lors d’une fête ou d’un spectacle, permet de faire connaître le projet auprès des habitants, du voisinage, et de tisser des liens avec le quartier. Rencontrer les associations et institutions qui interviennent auprès des enfants et/ou des familles sur le même territoire (école, ludothèque, initiatives d’accueil extrascolaire, consultation ONE, maison médicale, Bébéparlotte, maison maternelle, autres milieux d’accueil, etc.) favorise le travail en réseau et la complémentarité entre le projet du lieu d’accueil et les autres intervenants. Cela lui permet de renseigner et d’orienter adéquatement les familles en fonction de leurs besoins. Cela permet aussi à certaines familles, sur le conseil éventuel d’un autre intervenant, de pousser la porte du lieu d’accueil – alors qu’elles pensaient peut-être que ce n’était pas fait pour elles, de diminuer les craintes, de dépasser les préjugés, de collaborer avec d’autres services pour répondre à des situations d’urgence, bref de se rendre plus accessible à certains publics – notamment les plus fragilisés. D’une initiative locale en naît une autre De la dynamique à l’oeuvre au sein de la garderie parentale d’Anderlecht a émergé une autre initiative dans le quartier : l’Université populaire des parents (UPP), baptisée « Parents et enfants solidaires et citoyens » et soutenue dans le cadre de l’année européenne 2010 de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. En partenariat avec une animatrice locale de Vie Féminine1, un groupe de parents fréquentant le lieu de rencontre du Pazapaz et la garderie parentale a concrétisé début 2010 cette idée venue de France2. Une UPP, c’est un groupe de parents d’un même quartier qui, ensemble, se mobilisent pour élaborer et mener une recherche sur leurs questions liées à la parentalité : les liens entre parents et école, la question de la transmission des valeurs dans un contexte d’immigration, les représentations de l’autorité, les messages au sujet des parents jugés « démissionnaires », etc. Une recherche qui ne se concentre pas sur leurs manques, mais au contraire sur leurs savoirs et leurs compétences – pas seulement ceux du groupe mais aussi ceux d’autres parents. Une recherche sur une question de société, qui dépasse leurs préoccupations individuelles, adopte un point de vue multidimensionnel sur les problématiques vécues et ouvre la voie au changement et à l’action citoyenne. Une recherche qui est aussi l’occasion d’ouvrir le dialogue avec les professionnels et institutions en allant à leur rencontre. Une animatrice, un coordinateur et un universitaire accompagnent la démarche, mais le contenu, la méthodologie et le pilotage de la recherche appartiennent au groupe de parents-chercheurs. L’UPP a pour objectif de permettre à ces parents de (re)prendre voix dans les débats et réflexions sur la parentalité, largement occupés par les experts de toutes sortes mais très rarement par les parents, surtout les plus précarisés. Leur donner l’occasion de s’exprimer eux-mêmes sur la réalité qu’ils vivent et d’être initiateurs de changements constitue le moteur de ce projet. D’ailleurs, les parents de l’UPP d’Anderlecht ont choisi comme thème de recherche les formes et les effets sur les femmes, les mères et les familles du manque de place d’accueil pour les tout-petits. Et ils mobilisent pour créer une nouvelle crèche dans leur quartier. La boucle est bouclée.

Documents joints

  1. Mouvement féministe d’éducation permanente, www.viefeminine.be.
  2. à l’initiative de l’Association des collectifs enfants-parentsprofessionnels (ACEPP) : www.uppacepp.eu.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 57 - juillet 2011

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