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Le niveau « soins de santé primaires » est composé de professionnels « généralistes », aptes à prendre en charge de manière globale et intégrée 90% des besoins de santé et qui s’articulent sur une seconde et une troisième ligne lorsque se manifeste le besoin de soins spécialisés pointus. Mais les choses sont moins tranchées qu’il n’y paraît. Les possibilités de prise en charge des problèmes de santé sont en pleine expansion, y compris à l’intérieur du niveau soins de santé primaires, et on voit y prendre forme de nouvelles compétences plus spécifiques, s’emboîtant comme des poupées russes dans les savoirs généraux. L’enjeu de cette évolution sera de trouver le point d’équilibre entre la prise en charge globale, qualité essentielle de la première ligne de soins, et le développement en son sein de ce que nous appellerons provisoirement des « sous-spécialités ».

Nos maisons médicales foisonnent de bonnes idées et se multiplient dans la diversité des professionnels qu’elles proposent d’intégrer à leurs services. A l’intérieur des différentes professions, on peut également retrouver des pôles de compétences spécifiques, des spécialisations informelles, de vraies spécialisations, des titres professionnels ou une expertise particulière. D’autres professions s’expatrient dans des domaines de compétences en lien ou non avec leur formation originelle, comme certains journalistes ou chercheurs, entre autres. Au travers de cet article, nous allons parcourir les trois métiers qui constituent actuellement les piliers de base de (presque) chaque maison médicale : médecins, kinésithérapeutes et infirmiers. Chacun va nous éclairer sur les nouveaux visages de son métier. Un dernier paragraphe nous fera monter d’un niveau pour questionner les défis que ces transformations lancent à la première ligne de soins et en particulier aux maisons médicales.

Des infirmières…

La formation pour les infirmiers1 en Belgique se réfléchit actuellement dans un souci de davantage de cohérence et aussi d’alignement avec les politiques européennes de formation. Nous sommes tout de même inquiets du risque que le secteur des soins à domicile reste le parent pauvre de ces politiques de formation et des revalorisations financières qui les accompagnent. Un bilan de la situation En Belgique, la formation en soins infirmiers est toujours organisée par deux filières différentes : le bachelier en soins infirmiers (enseignement supérieur) et le brevet en soins infirmiers (enseignement professionnel secondaire complémentaire). Ces deux niveaux de formation sont le résultat de mesures transitoires pour cinq ans, datant de 1960 et qui sont toujours en vigueur actuellement. Force est de constater que cette situation ne permet pas une juste valorisation sociale du métier. Des voix vont plus loin et disent qu’actuellement trois ans de baccalauréat, c’est insuffisant au vu des multiples compétences à acquérir et soulignent que les études d’infirmières devraient faire partie d’un cursus universitaire. Après le cursus de base, des formations qualifiantes sont organisées, accessibles ou non selon les filières de la formation initiale. Elles aboutissent, soit à des titres professionnels particuliers, soit à des qualifications professionnelles particulières (voir encadré page suivante). L’organisation des formations pour accéder à ces titres et qualifications est du ressort des Communautés. Dans le cadre du plan d’attractivité, pour le moment, seuls trois titres et une qualification agréés par la commission d’agrément du Conseil national de l’art inirmier (voir encadré) donnent droit à une revalorisation salariale sous forme d’une prime annuelle2, pour autant que l’infirmier travaille effectivement dans le domaine correspondant à sa formation. Ensuite, au fur et à mesure de la parution des arrêtés ministériels définissant les critères d’agrément, tous les titres professionnels particuliers (TPP) et qualifications professionnelles particulières (QPP) dont la liste est définie dans l’arrêté royal du 27/09/2006 bénéficieront de ces primes. En dehors des lieux habituels de prise de décision concernant les formations infirmières, l’INAMI reconnaît des formations d’infirmier relais qui, dans les soins à domicile, ouvrent le droit au remboursement de prestations spécifiques. La qualité d’infirmier relais en diabétologie ou d’infirmier relais en soins de plaies est acquise après une formation de 40 heures sanctionnée par une attestation de réussite d’une unité de formation de promotion sociale. De nombreuses écoles organisent des modules de formation (recyclage) pour répondre aux besoins des infirmiers de terrain. Les infirmiers reçoivent, dans ce cas, une attestation de participation. Souvent la formation continue n’est pas financée, sauf dans certaines institutions de soins, par exemple via le budget des moyens financiers (BMF) pour les institutions hospitalières. Les conventions collectives de travail proposent aussi des formations sur des thèmes généraux. Elles sont gratuites mais le temps de formation est financé au bon vouloir des institutions. Le plan d’attractivité de la profession infirmière prévoit un financement, par forfait annuel, de quelques heures de formations dans le secteur des soins à domicile. Cette mesure est en voie de réalisation. Nos inquiétudes Nous sommes face à un paradoxe. D’une part, les praticiens de l’art infirmier ont besoin de formations pour faire face à la multiplication des domaines de compétences ; d’autres part, le risque est grand de cloisonner les soins et d’observer une fuite des infirmières vers les domaines spécialisés. En effet, nous pensons que la multiplication des spécialités dans le domaine des soins infirmiers entraîne : • Un saucissonnage des soins en fonction des spécialités alors que la prise en charge globale du patient est reconnue comme facteur de qualité des soins. • Une dévalorisation de l’infirmier généraliste : la plupart des étudiants, après un cursus où ils ne maîtrisent pas suffisamment de compétences, s’orientent vers les spécialisations. De plus, celles-ci leur offriront un salaire plus avantageux. Le risque est important de ne plus former que des infirmier(e)s spécialisé(e) s, ne pratiquant plus de soins de base. • Une autre conséquence de la multiplication des spécialités en soins infirmiers est l’oubli des soins à domicile. Aucune spécialité ne peut être valorisée en soins à domicile. Dans nos maisons médicales, les infirmiers avec des spécialités comme la gériatrie, les soins palliatifs, l’oncologie ou les soins communautaires n’auraient droit à aucune valorisation salariale, alors que les collaborations interdisciplinaires de nos services sont gage de qualité des soins dans ces domaines. Titres et qualifications professionnelles en soins infirmiers Un titre professionnel particulier est acquis après une formation de 900 heures (soit 60 crédits). La liste des titres professionnels particuliers pour les titulaires du diplôme ou du titre d’infirmier gradué ou de bachelier en soins infirmiers s’établit comme suit : 1. infirmier spécialisé en pédiatrie et néonatologie ; 2. infirmier spécialisé en santé mentale et psychiatrie ; 3. infirmier spécialisé en santé publique ; 4. infirmier spécialisé en gériatrie ; 5. infirmier spécialisé en soins intensifs et d’urgence ; 6. infirmier spécialisé en oncologie ; 7. infirmier spécialisé en imagerie médicale ; 8. infirmier spécialisé en stomathérapie et soins de plaies ; 9. infirmier spécialisé en assistance opératoire et instrumentation ; 10. infirmier spécialisé comme perfusionniste ; 11. infirmier spécialisé en anesthésie. Une qualification professionnelle particulière est acquise, après une formation de 150 heures (soit 10 crédits). La liste des qualifications professionnelles particulières pour les titulaires du diplôme ou du titre d’infirmier gradué, les bacheliers en soins infirmiers, les titulaires du diplôme de « verpleegkunde » et les titulaires du brevet ou du titre d’infirmier, s’établit comme suit : 1. infirmier ayant une expertise particulière en santé mentale et psychiatrie ; 2. infirmier ayant une expertise particulière en gériatrie ; 3. infirmier ayant une expertise particulière en soins de plaies ; 4. infirmier ayant une expertise particulière en soins palliatifs ; 5. infirmier ayant une expertise particulière en diabétologie ; 6. infirmier ayant une expertise particulière en évaluation et traitement de la douleur. Pour les titres et qualifications professionnels, les critères d’agrément sont fixés par arrêté ministériel. Actuellement, les critères d’agrément sont fixés pour quatre spécialités : – le titre professionnel particulier d’infirmier spécialisé en gériatrie3 ; – le titre professionnel particulier d’infirmier spécialisé en soins intensifs et d’urgence4 ; – le titre professionnel particulier d’infirmier spécialisé en oncologie5 ; -la qualification professionnelle particulière d’infirmier ayant une expertise particulière en gériatrie6. Le maintien des titres et qualifications est soumis à un recyclage annuel. Or, nous aurons un besoin croissant d’infirmiers compétents en soins ambulatoires pour : • faire face au vieillissement de la population, c’est-à-dire permettre aux personnes de rester le plus longtemps possible autonomes à domicile ; • répondre au souhait croissant de bénéficier de soins à domicile pour les enfants, les patients en fin de vie, les patients qui reviennent de manière précoce au domicile vu le raccourcissement des durées d’hospitalisations ; • répondre à l’ouverture des soins de santé mentale en milieu de vie ; • et dans ces situations, appréhender le soin de manière globale (curative, préventive, palliative, sociale). De plus, l’infirmier à domicile est la plupart du temps seul face à une situation parfois très complexe. Nos propositions Une seule filière de formation pour les infirmières. Un cursus universitaire avec des orientations différentes en fin de cycle. La difficulté à recruter des infirmiers est moindre dans les pays où la formation se situe à un niveau supérieur ou universitaire, ce qui est sans doute dû à la rémunération liée à ce niveau de formation. Dans les orientations à prévoir en dehors des secteurs spécialisés actuellement décrits, il faut : • une orientation d’« infirmier généraliste » comparable à l’infirmier clinicien qui existe déjà dans certains pays ; • une orientation d’ « infirmier en soins ambulatoire » ; • et d’autres, selon les besoins En cours de carrière, un recyclage obligatoire, correspondant aux évolutions de la profession, donnerait aux infirmiers la possibilité de faire une carrière clinique. Cette formation continue devrait être financée et donner lieu à des avantages salariaux ou à des honoraires. Dans ce cadre, il sera nécessaire de revoir le système des congés pour formations (congé individuel de formation, congé éducation payés). Pour les soins à domicile, une forme d’accréditation sur le modèle appliqué aux médecins pourrait être mise en place, avec un remboursement préférentiel ou un soutien financier pour les professionnels qui peuvent attester du suivi de formations agréées. Pour les infirmières déjà en place, il faudra, bien entendu, reconnaître les compétences acquises par l’expérience. L’organisation des soins de santé pourrait aussi prévoir davantage de thérapeutes de deuxième ligne, comme cela existe déjà en soins palliatifs. Spécialisés dans un domaine précis, ces personnes ou ces services sont ou seront, notamment dans les soins à domicile, un soutien efficace à la pratique. Ils sont des référents auprès desquels nous pouvons obtenir des conseils, des informations, des avis toujours à la pointe des avancées scientifiques et ils ont une expérience très pointue dans leur domaine. Ce système a aussi l’avantage de ne pas cloisonner les soins par spécialités. La formation des infirmières est un enjeu important pour la qualité des soins. Nous avons l’espoir que les instances gouvernementales prévoiront des budgets suffisants pour faire face aux coûts qu’entraînera inévitablement une politique audacieuse en cette matière. Nous veillerons à ce que les mesures n’oublient pas les soins ambulatoires. C’est d’ailleurs une demande légitime des personnes souffrantes de pouvoir bénéficier de soins de qualité dans leur milieu de vie.

Des kinésithérapeutes…

Il y a plus de 10 ans, existaient encore, en kinésithérapie, le graduat et la licence. En graduat à Liège, l’école proposait trois orientations : l’option classique explorait de manière large l’éventail qu’offre la kinésithérapie ; l’option sportive approfondissait les pathologies sportives mais ne faisait qu’évoquer le reste ; l’option psychomotricité se limitait à approfondir les pathologies psychomotrices. Mais depuis, la licence et le graduat ne font plus qu’un et, alors que la kinésithérapie se « spécialise » de plus en plus, les options sont passées à la trappe. Pendant nos études, on nous parle de rééducation vertébrale, mais on ne nous parle pas des chaînes musculaires, et très peu de la rééducation abdominale hypopressive. On insiste sur la périnatale, mais on nous parle peu de la rééducation uro-gynécologique. En maison médicale, nous offrons des soins de première ligne. Tout comme nos collègues médecins et infirmiers, nous sommes de plus en plus confrontés à des demandes très spécifiques. Parmi celles-ci, l’ostéopathie, la rééducation vestibulaire, la temporomandibulaire, l’uro-gynéco, les chaînes musculaires, la relaxation, la physiothérapie. Le drainage lymphatique, le massage circulatoire, le massage transverse profond (MTP) type Cyriax ou au crochet, la thérapie manuelle, Sohier, Bobat, Kabat, la respiratoire, la rééducation de la main… sont autant de pratiques qui nous ont été enseignées et que nous sommes supposés pouvoir utiliser, mais qui demandent malgré tout certaines compétences spécifiques. Chaque thérapeute s’approprie telle ou telle technique, suivant ses facilités, ses envies et parfois ses besoins. Nous ne saurions pas tout faire. Il ne nous est donc pas possible de répondre à toutes les demandes. Certains kinésithérapeutes s’orientent d’ailleurs de manière plus ou moins sélective vers des champs d’activité étroits, sans que la « spécialisation » existe, ce qui pose la question de la pertinence d’une « deuxième ligne kinésithérapie ». Comment faire alors ? Plusieurs fonctionnements sont appliqués pour le moment dans nos maisons médicales avec des avantages et des inconvénients. Certaines maisons médicales ont un secteur bien développé, soit par le nombre de kinésithérapeutes, soit par les formations que possède chaque membre du secteur, ce qui réduit fortement les problèmes face aux demandes particulières. Cela exige néanmoins de l’investissement en temps et en finances, que ce soit pour engager du personnel ou payer des formations qui sont souvent coûteuses et parfois longues. D’autres ont limité leur nombre de thérapeutes et réfèrent leurs patients vers l’extérieur, dans des services hospitaliers ou chez des particuliers. Ces particuliers prennent nos patients en charge suivant une collaboration établissant clairement le coût des séances, leur nombre, les modalités de payements. Cette pratique coûte cher à l’institution et est un frein à la multidisciplinarité, du moins comme nous l’entendons, c’est-à-dire sous un même toit. La dernière solution, malheureusement peu utilisée est la collaboration entre plusieurs centres de santé. Les maisons médicales prennent contact entre elles, établissent la liste des spécificités de chaque thérapeute, et se réfèrent les patients entre elles dès que le besoin est là. Cette pratique demande du temps. Elle est idéale dans l’absolu, signe de solidarité, mais à l’heure où beaucoup de secteurs sont surchargés à l’intérieur de leur propre maison, comment réussir à accueillir les patients des autres maisons médicales ? A l’intergroupe liégeois, le groupe sectoriel ’kiné’ se penche sur cette question. Quelle est la place du kinésithérapeute en maison médicale ? Dans les soins de santé primaires ? Quelle solution trouver pour qu’elle soit la moins contraignante pour tous ? La Fédération des maisons médicales, quant à elle, souhaite remettre sur pied un groupe sectoriel fédéral, au sein duquel cette question trouverait place. Le débat est lancé…

Des médecins…

« La médecine générale mène à tout à conditions d’en sortir. » (anonyme du XXème siècle). Les « autres métiers » des généralistes, un buisson extraordinairement touffu La question des « autres métiers » des généralistes, c’est-à-dire des pratiques plus spécialisées que développent certains d’entre eux est extrêmement complexe. Pour la décrire, les anglais ont inventés le concept de GP with special (clinical) interests, mais ce concept ne recouvre que les généralistes qui développent une compétence dans un domaine spécifique de la médecine clinique afin de raccourcir les délais d’attentes à certaines spécialités (neurologie, dermatologie, etc.). Ce type de compétence spécifique peut aussi correspondre à un choix du généraliste qui souhaite améliorer ou diversifier sa pratique. En Belgique, le système de santé est tellement libéral que chaque généraliste, surtout chez les solistes, construit son propre métier au gré de ses désirs plutôt que sur base des besoins de santé de la population. A l’inverse, certains besoins nouveaux se sont fait jour et des généralistes se sont portés candidats pour combler une absence ou une pénurie de service, par exemple dans les problématiques de toxicomanie, de psychothérapie, d’avortement, de contraception. Il faut également prendre en compte l’ensemble des pratiques parallèles (ou non conventionnelles) : acupuncture, homéopathie, phytothérapie, ostéopathie qui correspondent surtout à une demande des classes éduquées. Elles peuvent être intégrées à l’intérieur d’une pratique de médecine générale conventionnelle ou au contraire développées au point que l’on ne puisse plus parler de médecine générale. Autre phénomène, un détournement professionnel est opéré par les institutions hospitalières qui dévoient des généralistes pour leurs services de garde ou de salle, ou les aides opératoires. D’autres lieux d’hébergement ont aussi une forte demande de généralistes intramuros sans qu’une justification rationnelle en soit toujours apportée : maison de repos (et de soins), institut médico-pédagogique. Enfin, il y a les généralistes qui se spécialisent dans une activité fragmentaire de la médecine générale mais qui n’en assument ni la continuité ni l’universalité : mercenaires gardistes (c’est-à-dire ne pratiquant que des gardes de médecine générale), nutritionnistes, ou encore les GP with special (clinical) interests quand ils se cantonnent exclusivement dans leur orientation spécialisée. Nous voyons que pour chaque situation il faut distinguer les spécialisés plein temps qui n’ont plus de généralistes que le nom et les spécialisés à temps partiel qui conservent une pratique générale substantielle. Le Groupement belge des omnipraticiens (syndicat généraliste) estime qu’il faut au minimum faire de la médecine générale à mi-temps pour continuer à être considéré comme généraliste. Enfin, il faut parler de tous les médecins généralistes qui, en sus de leur activité généraliste, ont une pratique non-clinique. En général la situation est plus claire : médecins chercheurs, enseignants, syndicalistes/ lobbyistes, médecins du travail, médecins experts,… Some general practitioners are naturally drawn to particular patients and skill sets, and it is from this intellectual curiosity that they develop special interests. General practitioners with special interests (GPwSI) offer great potential benefit to patients, the profession and the health care system, and need to be supported. Colleges, universities and other training and accrediting bodies play an important role in supporting these GPs7. Replacer les pôles de spécificité dans l’approche globale (un privilège des maisons médicales ?) On le voit, les spécialisations de la médecine générale ont une origine multiple : offre, besoin, demande. Nous privilégions a priori la satisfaction des besoins, dans un deuxième temps la satisfaction de l’offre (des professionnels frustrés sont probablement moins performants) et la demande, les désirs des patients même partiellement irrationnels devant être pris en compte ce qui ne veut pas dire intégralement satisfaits. Voyons ce qui se passe à l’intérieur des maisons médicales. Nombre de médecins y acquièrent, soit par expérience, soit par formations complémentaires, des pôles de spécificité. Cela permet de diversifier les compétences au sein d’une même équipe et d’avoir une palette de services plus large à offrir. Tout en ne perdant rien de l’approche globale, on peut ainsi s’appuyer sur des références dans l’approche des toxicomanies, des soins palliatifs ou de la gynécologie, entre autres. Citons aussi, et de façon non exhaustive, la petite chirurgie, les patients psychiatriques particulièrement déstructurés, la médecine du voyage et son lot de vaccins et de conseils spéci ques ou encore les suivis des femmes enceintes et des nourrissons. Ainsi, il est reconnu en maison médicale que l’un ou l’autre de ses médecins, pour une activité spécifique, peut se former pour aider l’ensemble du secteur. C’est le cas de certaines formations en spirométrie ou encore en manipulation de bases de données en vue d’observer sa pratique et de construire des plans spécifiques d’éducation aux patients. D’autres encore peuvent bénéficier d’approche en systémique familiale ou de gestes techniques accessibles à la médecine générale. Il ne faut pourtant pas que toutes ces matières soient complètement inconnues des autres médecins, au risque de se perdre dans l’élaboration, parfois fantasmée, d’une première ligne qui ne serait imaginée qu’au départ de spécialités. L’important est que celui qui développe une spécificité se tienne en appui des autres sans lui-même abandonner sa pratique globale.

Des maisons médicales…

Le défi que nous lancent les « nouveaux profits » des soignants en soins de santé primaires est de trouver un équilibre entre : • la prise en charge globale et intégrée, que nous déclinons au travers de la pluridisciplinarité sous le même toit ; • le développement de sous-spécialités ; • la multiplication des acteurs dans la vie du malade. La multiplication de « sous-spécialisations », si elle aboutit à une pratique exclusive, va mener au saucissonnage des patients par spécialité en première ligne qui est censée être la ligne de l’intégration et de la fonction de synthèse. Le phénomène est pourtant déjà en route : le tabacologue se spécialise dans l’arrêt du tabac, l’infirmière éducatrice du diabète dans le diabète, l’infirmière psychiatrique dans les patients en difficulté psychiatrique… Un patient diabétique, fumeur, en surpoids, hypertendu et dépressif rencontre déjà son médecin généraliste, un diététicien, un podologue, le diabétologue de temps en temps (trajets de soins obligent) et s’il a une plaie, une in rmière et s’il est en situation de précarité, une aide familiale et une assistante sociale. Si la tendance actuelle se confirme, il pourrait de surcroît être suivi par un tabacologue, une aide soignante, un infirmier spécialisé en accompagnement psychiatrique. Un assistant de pratique prendra sa tension. Un coordinateur veillera à l’agenda de ses rendez-vous. Pour peu qu’il ait une bronchite chronique (puisqu’il fume) on rajoute le professionnel spécialisé en broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). Et s’il fait une insuffisance rénale… Quelle intimité conserve encore cette personne, « dénudée » (physiquement ou psychiquement) devant autant d’intervenants différents ? Quelle transmission d’information sera possible entre tous ces professionnels ? Combien de fois ce malade devra-t-il raconter la même chose, au nom du souci de globalité de chacun des intervenants ? Quelle place trouvera l’aidant proche ? Avec toutes ces spécialisations, qui envisagera l’intégration des activités, se sentira responsable de parler de la prévention, du vaccin contre la grippe, du dépistage du cancer du côlon, ou de la décision de ne pas ajouter cela encore en plus ? Tous ? Certains ? Le médecin généraliste intégrateur ? Personne, chacun croyant que l’autre va le faire ? Prenons garde qu’à développer en première ligne le découpage qui caractérise la deuxième ligne, ne mettons pas en danger le lieu de la synthèse, de la globalité, de l’intégration qu’est le premier échelon. Certaines spécialisations sont probablement utiles ou inévitables. Mais il faut à tout prix éviter de foncer tête baissée vers la création de qualifications nouvelles à chaque problème qui fait l’actualité. Pour éviter cet écueil, il faut reconnaître les missions du premier échelon et repenser la formation de base et la formation continuée de tous les professionnels de première ligne. L’orientation vers des spécialités est parfois la conséquence d’un sentiment de formation insuffisante, d’insécurité dans ce travail rempli d’incertitude, dévoreur de temps et de durée, exposé aux aléas de la vie et du contexte des patients. Les acteurs de premier échelon devraient rester capables de prendre en charge 90% des plaintes qui leur sont adressées, quitte à faire appel, selon le besoin, à des professionnels d’appui qui peuvent les conseiller ou les soutenir. Cela existe déjà pour les soins palliatifs, l’aide aux toxicomanes… Pourquoi pas dans d’autres cas ? Une variante à la sauce maison médicale du « GP with clinical interests » semble une bonne piste. Utilisable aussi pour l’infirmière, pourquoi pas ? Enfin, la pratique de groupe permet de réunir en un même lieu plusieurs pôles de compétences. A condition que chacun continue de développer une pratique généraliste, la spécialisation particulière de l’un sera utile aux patients de l’autre, et inversement. Et l’interdisciplinarité devrait permettre le transfert de compétences, de ceux qui vont en formation vers ceux qui bénéficieront du partage des compétences nouvelles. Les poupées russes sont possibles, et probablement utiles. A condition de rester emboitées les unes dans les autres, la plus grande étant la fonction généraliste. Ne pas devenir une collection de poupées dissemblables, rangées l’une à côté de l’autre sur l’étagère du coordinateur de soins…

Documents joints

  1. Les termes « Infirmier » et « Infirmière » dans ce texte comprennent les praticiens de l’art in rmier des deux sexes.
  2. Critères d’agrément Titre professionnel particulier d’infirmier spécialisé en gériatrie (AM 19/04/07 – MB 08/06/07).
  3. Arrêté royal relatif à l’exécution du plan d’attractivité pour la profession infirmière en ce qui concerne les primes pour des titres et qualifications professionnels particuliers et les prestations inconfortables (AM 22/06/10 – MB 07/07/10).
  4. Critères d’agrément ’Titre professionnel particulier d’infirmier spécialisé en soins intensifs et d’urgence’ (AM 19/04/07 – MB 08/06/07).
  5. Critères d’agrément ’Titre professionnel particulier d’infirmier spécialisé en oncologie’ (AM 28/01/09 – MB 18/02/09).
  6. Critères d’agrément ’Qualification professionnelle particulière d’infirmier ayant une expertise particulière en gériatrie’ (AM 19/04/07 – MB 08/06/07).
  7. Spurling G, Jackson C, “GPs with special interests – benefits to patients, GPs and the community”, Aust Fam Physician 2009,

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 55 - janvier 2011

Une étude sur les métiers de demain au premier échelon en Belgique : pourquoi et comment ?

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Vous avez dit « fonctions » ?

Les métiers de la santé évoluent. On pourrait en parler en termes « d’identité » mais l’identité est ce qui résiste au changement. Il paraît alors beaucoup plus dynamique de décrire cette évolution en termes de(…)

- Isabelle Heymans

Note de fin

« … un médecin du Premier Empire, s’il avait pu ressusciter, ne se serait pas senti trop dépaysé parmi ses confrères du début du XXème siècle. »[[Un vieux médecin raconte… Dr Armand Colard, J. Goemaere, Bruxelles,(…)

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Métiers de la première ligne et systèmes de santé : vers plus de spécialisation ou de polyvalence ?

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