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Des médecins généralistes, des médecins-conseils des mutuelles et des médecins du travail se réunissent régulièrement pour mieux comprendre la législation et mieux fonctionner dans l’intérêt partagé du patient.

Nous avons créé les premiers groupes Trio en 2014. Ce sont des rencontres régionales régulières qui rassemblent une vingtaine de praticiens, majoritairement généralistes, avec des médecins-conseils et des médecins du travail d’entreprises ou de services externes. La réflexion, elle, remonte à une dizaine d’années, portée par la Société scientifique de santé au travail (SSST) et l’Association scientifique de médecine d’assurance (ASMA) qui y ont associé la Société scientifique de médecine générale. En 2012, ces institutions ont organisé une première journée où étaient conviés les médecins du travail, les médecins généralistes et les médecins-conseils des mutuelles, pratiquement aussi nombreux les uns que les autres et demandeurs d’une collaboration. Nous nous sommes aperçus qu’ils méconnaissaient leurs rôles respectifs et que la législation toute basique qu’elle est au niveau des incapacités de travail notamment n’était pas davantage maitrisée. Pourquoi, par exemple, le médecin-conseil ne reconnaît-il plus l’incapacité d’un travailleur au bout de six mois alors que la situation n’a pas changé ? Cela s’explique par le fait qu’au bout d’un semestre on réévalue les capacités non par rapport au travail antérieur du travailleur, mais par rapport à ses capacités restantes et au marché de l’emploi en général. Le savoir permettrait de réfléchir en amont à un projet de reconversion… La dimension du travail (travail ou absence de travail) chez les patients n’est pas une chose particulièrement abordée en médecine générale. Or, on s’aperçoit qu’un nombre croissant – pour ne pas dire exponentiel – de consultations y sont liées. Sans se substituer au syndicat ou au médecin du travail, il y a vraiment lieu d’objectiver ce qui se passe. Le médecin généraliste sait si son patient est employé ou ouvrier, mais quelle est la pénibilité de son métier ? Quels sont ses horaires, les charges, les dangers encourus ou les produits toxiques manipulés ? Quels sont aussi l’ambiance au travail et le stress généré ? Les médecins généralistes posent rarement les bonnes questions… Nous n’avons pas été formés à investiguer ce domaine. C’est à l’anamnèse qu’on se rend compte qu’une partie du mal-être, du symptôme est fort probablement liée à des conditions de travail ou, en tous cas, que les conditions de travail font partie des éléments qui influencent le problème de santé. Est-ce le travail qui occasionne des problèmes familiaux ? Est-ce l’inverse ? Ou une conjonction de tout ? Je pense à une enseignante épuisée qui m’avait demandé un ou deux jours d’incapacité avant un week-end pour se reposer avant de reprendre le lundi. Elle a craqué sur le chemin de l’école, elle est rentrée chez elle et s’est écroulée en pleurs… Il n’y a pas que les accidents de travail ou les maladies professionnelles ; les contraintes et la dépersonnalisation du travail augmentent et le stress peut mener au burn out. Dans les consultations, je pense qu’il faut vraiment demander au patient comment cela se passe au boulot. On pose déjà librement des questions sur la consommation de tabac ou d’alcool, pourquoi pas à propos du travail ? Où est le frein ? Peut-être les patients eux-mêmes viennent-ils avec des symptômes qu’ils ne lient pas forcément au travail… ou plutôt avec une demande de leur enlever ce symptôme pour pouvoir continuer à travailler, mais ce n’est pas possible. L’insomnie et la fatigue sont des plaintes très fréquentes et prescrire un somnifère ne répond pas au problème. Souvent, ces patients en prennent déjà, ou un anti dépresseur, et cela ne va pas mieux : intrinsèquement la situation n’a pas changé. Le symptôme est inhérent aux conditions de travail.

Briser les clivages

Médecin généraliste, médecin du travail ou médecin-conseil de la mutuelle, chacun travaille dans son coin, chacun dans son camp. Les contacts entre eux sont rares et les visions du rôle des autres un peu stéréotypées. L’idée s’est imposée de mettre en place quelque chose pour que ça change. Et tout d’abord comprendre la fonction des autres. Pour schématiser, je dirais que la médecine générale est dans le mode curatif et préventif. La fonction idéale de la médecine du travail, c’est de prendre soin de la santé des travailleurs au travail, de veiller à ce que leurs conditions de travail soient les meilleures possible et de procéder aux examens déterminés par la loi. Le rôle du médecin-conseil est de vérifier que la personne est réellement en incapacité de travail et de voir aussi quelles sont les possibilités de reconversion ; ce n’est donc pas uniquement un rôle coercitif alors que le médecin du travail a des contraintes, par exemple pour adapter un poste de travail (ce que l’employeur est libre d’accepter ou de refuser). Nous avons constitué onze groupes Trio dans la partie francophone du pays : à Bruxelles, Liège, Charleroi, Mons, Namur et en province de Luxembourg. Le projet pilote initial prévoyait trois réunions par an pendant deux ans, le contrat est plus que rempli puisque cinq groupes continuent toujours à se réunir, mais nous ne nous occupons plus d’en créer nous-mêmes de nouveaux car le recrutement est difficile. Il faut reconnaître que le sujet est moins attractif que les soins palliatifs ou d’autres thèmes éthiques. C’est paradoxal : il y a de plus en plus de consultations qui tournent autour du travail et la législation est à portée de main, mais la formation est chronophage. Les médecins-conseils et médecins du travail sont particulièrement demandeurs de ces rencontres. En participant aux groupes Trio, ils sont moins seuls. Les premiers se voient aujourd’hui confier des tâches du plan de réinsertion et réintégration au travail : c’est une énorme charge additionnelle pour un nombre insuffisant de prestataires. Les seconds sont parfois dans une position difficile, voire schizophrénique : il leur arrive de constater des effets toxiques pour la santé des travailleurs et l’employeur ne bouge pas. Leurs conditions de travail sont éprouvantes, il y a une certaine concurrence entre services externes. Le groupe de pilotage conserve toutefois un rôle de support et il poursuit le processus de formation continue en publiant des fiches thématiques sur le site de la SSMG1 : à propos du congé de maternité, du C4 pour force majeure médicale, du plan de réintégration… Cette dernière explicite notamment la reprise partielle du travail, l’aménagement du poste de travail, la législation de base sur l’incapacité de travail ; elle prépare à la convocation chez le médecin-conseil à l’entrevue chez le médecin du travail… Un sujet d’actualité, qui laisse malheureusement entrevoir une vague de licenciements.

Une initiative originale

Chaque groupe Trio se réunit trois ou quatre fois par an. Il est animé par un médecin généraliste. Les participants viennent avec des situations vécues, chacun apporte son éclairage et le coordinateur une réponse administrative, juridique ou autre. Les échanges entre ces trois secteurs de la médecine restent perfectibles. Comment joindre le médecin-conseil ? Comment joindre le médecin du travail ? Avec le numéro national d’un patient, et dans le cadre du secret professionnel partagé, le médecin généraliste et le médecin-conseil devraient savoir quel est son médecin du travail (et pas l’inverse bien entendu : le médecin du travail n’a pas à connaître du dossier santé du travailleur. Ne lui sont donnés que les renseignements médicaux pertinents, et toujours avec l’accord du patient), mais les systèmes informatiques ne sont pas encore à 100% performants. Une réunion de groupe Trio, c’est à la fois un temps d’apports théoriques et un temps de questions. C’est un lieu de discussion très animé qui permet de trouver des solutions quand les participants sont dans une impasse. C’est un lieu d’analyse et de critique objective également, comme lors d’une journée organisée sur le thème du plan de réinsertion. Les débats peuvent être très pratico-pratiques. Prenons la visite de préreprise chez le médecin de travail : personne ne savait vraiment ce que c’était… Contrairement à ce que l’on pense, on peut consulter le médecin du travail pendant la période d’incapacité, même à l’insu de l’employeur. Cela permet entre autres de voir s’il est possible d’aménager un poste de travail et, si ce n’est pas le cas, d’évaluer le risque que la personne soit licenciée. Au fil du temps, des choses se mettent en place entre les participants. Des médecins du travail téléphonent à des médecins généralistes en proposant eux-mêmes une adaptation de poste de travail. Ça évolue, mais il faudrait aussi entrer dans la pratique de médecine générale. Pour cela, la SSMG est en train de mettre au point une mallette d’outils à l’attention des généralistes. Personne ne nous dicte ce que nous avons à faire. Ces ateliers sont de vrais laboratoires. Avec des surprises parfois, comme le nouveau certificat pour la mutuelle qui paraissait plutôt limpide… Certains groupes ont consacré plusieurs réunions à ce sujet, finalement moins simple qu’on ne l’imaginait. On peut dire qu’il y a un vide de compétences, en tout cas du côté des médecins généralistes. Un document incorrectement ou insuffisamment rempli, un délai dépassé et c’est parfois une indemnité perdue ou un statut refusé… Il faut améliorer leurs connaissances pour ne pas porter préjudice au patient et pour améliorer la prise en charge. Le volet administratif de la profession augmente et cela pose la question de la limite de leur travail. Au coeur d’un groupe Trio Jean-Marc Baup, médecin généraliste à la maison médicale du Nord à Schaerbeek. L’objectif est de mieux comprendre et partager la réalité des patients et leur diffi culté ou incapacité d’eff ectuer leurs tâches professionnelles, de mieux comprendre la règlementation et le rôle de chaque partenaire institutionnel. Les généralistes exposent des situations et les diffi cultés rencontrées : plaintes de patients, rapports justifi ant l’interruption temporaire de travail, refus de reconnaissance de celle-ci par le médecin-conseil de la mutuelle ou diffi culté de trouver avec le médecin du travail des aménagements permettant aux patients de reprendre, éventuellement à temps partiel, une activité professionnelle éventuellement adaptée. Quelques exemples : -Après quatre mois d’incapacité, Étienne, ouvrier du bâtiment, a eu un accident de la vie privée et perdu l’usage de deux doigts. Le médecin-conseil estime qu’il a récupéré une capacité de travail, même si ce n’est pas le même travail qu’avant l’accident. Il est alors licencié, car son employeur ne l’estime plus capable de reprendre son travail. Est-ce légal ? Quels sont ses recours éventuels ? A-t-il droit au chômage ? -Suite à un burn out, Mathilde ne parvient pas à reprendre le travail chez son employeur. Elle pourrait trouver un autre travail et demande à être licenciée. Que peut-elle faire ? -Marthe, employée, fait une dépression et imagine reprendre, mais en douceur et à mi-temps seulement. Quelles démarches doit-elle entreprendre et de quelles autorisations a-t-elle besoin ? -Julie, porteuse d’un handicap moyen, travaille en atelier protégé depuis deux ans. Elle est épuisée par son travail. Vous pensez qu’elle ne peut pas continuer, mais elle doit garder un revenu, car elle vit seule. Vous la mettez en incapacité et le médecin-conseil, après deux mois, la remet au travail pour « antériorité ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Que peut-elle faire ? Participer au groupe Trio permet de conseiller ou de soutenir de façon plus opportune nos patients dans la relation au travail, de savoir aussi dans quel jeu on joue et de mieux en connaître les règles.

Documents joints

  1. www.ssmg.be/cellulesspecifi ques/sante-et-bienetre- au-travail

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°81 - décembre 2017

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