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La santé mentale comme porte d’entrée à l’installation d’un service de santé de première ligne


Santé conjuguée n° 56 - avril 2011

A partir d’un programme « vertical » de santé mentale, une dynamique de connaissance réciproque entre intervenants de santé et population débouche sur la création d’un service de santé polyvalent de première ligne.

Nous sommes en 2002, une équipe médicale composée d’un psychiatre européen et des agents de santé polyvalents guinéens (médecins généralistes et infirmiers) initie un lieu de consultations médicales pour malades mentaux dans un village de moins de 1000 habitants. Le village « Moriady » se trouve à 12 km de la ville de Kindia, elle-même située à 135 km de Conakry, capitale de la république de Guinée. Il est connu dans la localité au travers de son hospitalité africaine. Sa population accepte volontiers de recevoir des malades mentaux qui viennent à la rencontre de l’équipe médicale le premier dimanche de chaque mois. L’initiative est de l’ONG Fraternité médicale Guinée, association de professionnels de santé créée par des médecins généralistes dont la vocation principale est le développement de la santé communautaire.

On ne connaît que les choses que l’on apprivoise

Durant trois ans de médecine ambulatoire (2002-2005), l’équipe médicale accueille des consultations des malades (nouveaux et anciens cas) sous l’apatam (lieu de rencontre et de discussion) et dans une case. Parmi les nombreux patients qui viennent, il y a des malades mentaux (psychotiques et déprimés), des épileptiques mais aussi ceux souffrant des pathologies aigues (paludisme, infections respiratoires aigues, etc.). Le nombre de patients croît à chaque séance, une dynamique communautaire s’installe durant les longues journées de consultations avec des échanges entre patients et accompagnateurs, équipe médicale et patients, habitants du village et équipe médicale et entre patients. Au fil du temps, les relations entre l’équipe médicale et les habitants du village se consolident et les demandes de ces derniers s’expriment de plus en plus. L’une des volontés des habitants du village est de bénéficier des soins de santé primaires pour toutes les catégories de patients dans un centre de santé polyvalent avec une équipe permanente. L’installation d’un centre de santé associatif qui verrait la participation accrue de la communauté est acceptée par les deux parties : le personnel de santé et les habitants du village. Pour y arriver, une évaluation du déjà fait et une étude du milieu pour approfondir les connaissances sont engagées. Au terme de ce processus d’apprentissage social marqué par des rencontres périodiques entre les habitants du village et l’équipe médicale, par le dialogue avec les familles et les associations locales, par l’implication des sages du village et des autorités sanitaires de la ville de Kindia, la construction et l’équipement d’un centre de santé polyvalent sont retenues. Deux partenaires s’engagent : l’ONG Fraternité médicale Guinée représentée par l’équipe de soins d’une part et les habitants du village d’autre part. Le niveau de participation de chaque partie est défini. Pour les habitants du village : la mise à disposition d’une parcelle de terrain, l’apport des agrégats pour la construction et la main d’œuvre locale. Pour FMG : la mobilisation des ressources pour la construction et l’équipement, le suivi des travaux de construction, l’apport d’un stock de médicament et la mise à disposition des ressources humaines par le recrutement, la formation et l’encadrement. Pour les deux parties : la recherche des autorisations auprès des autorités du département en charge de la santé et la mobilisation sociale des populations autour du projet. En 2006, les engagements sont respectés de part et d’autres, un terrain de 3 hectares est identifié et mis à disposition, des moyens financiers sont mobilisés au travers des fonds des partenaires au développement, des ressources propres de FMG et celles des donateurs privés. Les habitants du village préparent le terrain et apportent les agrégats. Le matériel de construction est mobilisé par FMG et les travaux durent 4 mois (mars-juin 2006). Le centre de santé est inauguré le 26 juin 2006 devant une population en liesse, des agents de santé heureux d’avoir accompli un engagement et des autorités locales satisfaites de la présence d’une nouvelle formation sanitaire dans le district.

De la santé mentale au four à pain

Bien que le dispositif ambulatoire garde son identité initiale, c’est-à-dire la prise en charge des malades mentaux, le nouveau centre de santé s’occupe désormais de tous les problèmes de santé des habitants du village et de ceux des villages avoisinants. Devant cette dynamique communautaire, se développent aujourd’hui autour du centre de santé plusieurs initiatives, notamment la construction d’un four à pains par FMG afin de réduire la distance pour les habitants du village qui parcourent des kilomètres pour trouver chaque matin leur petit déjeuner, la constitution de deux groupements agricoles qui produisent des fruits et légumes dans les bas-fonds comme source de revenu et la création de l’association des jeunes du village qui font la promotion des actions de santé. Les deux groupements sont soutenus par l’équipe du chef du centre de santé en facilitant la mise en relation avec les institutions spécialisées et la subvention des intrants et matériels de travail. Hier, sur un modèle ambulatoire d’offre d’un paquet spécifique de soins, aujourd’hui, le village de Moriady dispose de : – Un centre de santé associatif qui fonctionne 24h/24 et qui offre des soins globaux, continus et intégrés. Il réalise des consultations médicales (enfants et adultes), les accouchements, les examens de laboratoire, les soins divers dont ceux dédiés aux personnes vivant avec le SIDA. La vaccination des femmes enceintes et des enfants de moins de 5 ans, le dépistage du SIDA sont entre autres les activités préventives. Le personnel fait également des visites à domicile et déploie des activités d’éducation pour la santé auprès des jeunes, des femmes et des hommes. Le centre de santé fonctionne avec un médecin, deux infirmiers et un laborantin. Ce personnel, en plus des activités d’un centre de santé standard, offre des soins aux malades mentaux et épileptiques suivant une approche ambulatoire qui privilégie la participation de la famille à la prise en charge du patient. Cette prise en charge intègre des aspects curatifs, préventifs, promotionnels et de réhabilitation. – Un atelier de réhabilitation des malades mentaux et des enfants souffrant d’handicaps mentaux pour leur réinsertion familiale communautaire et professionnelle. – Un four à pain. – Deux groupements agricoles pour favoriser la promotion et la mise en œuvre des activités génératrices de revenu en faveur des femmes. – Un espace de démonstration qui s’appuie sur le médical, la dynamique communautaire, la réhabilitation des malades améliorés et la mise en réseau des acteurs. – Et dans les prochains mois un projet de compostage à l’école primaire du village avec la participation des élèves et un jardin botanique avec l’appui de l’équipe du centre de santé. L’expérience du centre de santé de Moriady montre qu’un programme vertical peut être un moteur à la mise en place d’une structure horizontale qui prend en charge tous les problèmes de santé d’une communauté. La participation développée dans le dispositif, les types de soins offerts (globaux, continus et intégrés) et la dynamique communautaire en évolution sont les valeurs reconnues dans le développement des services de santé de première ligne. « On ne connaît que les choses que l’on apprivoise » dit le renard. (Saint-exupéry, Le petit Prince)

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Cet article est paru dans la revue:

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