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L’impact des traités internationaux sur notre système de santé :


Santé conjuguée n° 76 - septembre 2016

Des traités internationaux tels que le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement ou Transatlantic Trade and Investment Partnership TTIP et l’Accord économique et commercial général – AECG ou Comprehensive Economic and Trade Agreement CETA sont en cours de négociation. Ils visent notamment à mettre en concurrence des services qui jusque-là étaient protégés du marché et entre les mains de l’Etat. Les services de santé sont concernés par cette tendance. Le processus de marchandisation de la santé et ses effets dévastateurs ont été largement développés dans un précédent dossier de Santé conjuguée1. Les démarches d’analyse de ce phénomène se poursuivent pour soutenir la mobilisation citoyenne. Etienne Lebeau, sur les affaires européennes, porte un regard en particulier sur l’Accord économique et commercial général et son incidence sur notre système de santé, juteux marché pour le Canada, comme pour les Etats-Unis via le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement.

L’Accord économique et commercial général est le premier des accords commerciaux de nouvelle génération à voir le jour. Le texte de ce traité négocié entre l’Union européenne et le Canada est disponible. Sa lecture a une grande importance, à un double titre. D’une part, parce que l’Accord économique et commercial général constitue la matrice des accords à venir, en particulier le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Ensuite, parce qu’il permet de prendre conscience du large champ d’application de ces accords et des risques de déréglementation qu’ils induisent. Dans cet article, nous nous focalisons sur les liens avec notre système de santé. L’objectif de l’Accord économique et commercial général peut se résumer en un mot, celui de déréglementation. Partant du précepte libéral selon lequel toute intervention de l’Etat constitue potentiellement une barrière au commerce international, ou dans le jargon des traités, une « barrière règlementaire », le but de l’Accord économique et commercial général est de lever ces barrières. Le secteur de la santé est bien évidemment concerné. Pourtant, hormis les experts gouvernementaux directement impliqué dans la négociation, personne ne semble disposer en Belgique d’une vue détaillée des conséquences de l’Accord économique et commercial général sur notre système de santé. Il faut dire que le traité ne propose pas de méthode simple d’identification des secteurs exposés à la déréglementation. Les secteurs ouverts à la concurrence ne sont jamais explicitement mentionnés dans le texte. Selon le principe dit de « liste négative », seuls les secteurs qui restent protégés sont mentionnés. Les secteurs libéralisés doivent donc être déduits en prenant la classification exhaustive des secteurs économiques et en retranchant de celle-ci les secteurs mentionnés dans les annexes du traité2. L’exercice est en fait plus complexe encore, car des critères viennent moduler plus finement le degré de protection : la protection concerne-t-elle la fourniture transfrontière (exemple : une consultation médicale par Internet)3 ou locale (un hôpital présent sur le territoire belge)4 d’un service ? Revient-elle à contrôler l’accès au marché ou à refuser de traiter les investisseurs étrangers sur le même pied que les prestataires locaux (règle dite du traitement national)5. Nous avons donc épluché les annexes de l’Accord économique et commercial général pour identifier les secteurs menacés par la libéralisation. Plusieurs conclusions se dégagent de cette analyse. Au contraire de l’Allemagne, la Belgique n’a pas introduit de protection couvrant l’ensemble de ses services de santé et sociaux6. Il en résulte que certaines parties de ces services subiront une concurrence accrue de prestataires canadiens ou américains disposant de filiales au Canada. Deux secteurs sont particulièrement exposés, celui des services médicaux et dentaires d’une part, le secteur paramédical d’autre part (physiothérapie, psychothérapie, infirmières à domicile, etc.). La Belgique pourrait voir s’implanter dans ces secteurs des opérateurs provenant du Canada. Ceux-ci bénéficieraient alors du même traitement que les opérateurs historiques, selon la règle dite du traitement national. Verra-t-on demain des sociétés commerciales canadiennes ou américaines, implantées en Belgique, faire concurrence aux opérateurs historiques, par exemple dans les services de soins à domicile (aide et soin à domicile, Croix jaune et blanche…) ?7 Si la Belgique ouvre son marché aux investissements d’opérateurs étrangers dans les secteurs susmentionnés, elle se réserve le droit de règlementer la fourniture transfrontalière de services de santé (dit mode 1 de prestation de service). La Belgique peut donc le cas échéant interdire la consultation par Internet de professionnels de santé (médecins, dentistes, sages-femmes, infirmières, physiothérapeutes, personnel paramédical). Cette brève analyse montre que l’Accord économique et commercial général ne sera pas indolore pour notre système de santé. Une étude récente8 montre que les accords actuels renforcent les tendances à la libéralisation, privatisation et commercialisation des systèmes de santé et de sécurité sociale, avec pour impact un manque d’accessibilité des soins de santé et des services sociaux pour les personnes à faible revenu et une détérioration des conditions des travailleurs de la santé. Des questions se posent donc, qui doivent d’urgence obtenir des réponses des experts qui ont établi les offres de libéralisation de la Belgique. C’est à eux d’expliquer pourquoi ils n’ont par exemple pas jugé bon de suivre l’exemple de l’Allemagne en protégeant l’ensemble des services sociaux et de santé. Ou encore de nous dire si des études d’impact ont été réalisées par rapport aux secteurs concernés par la libéralisation. Il conviendrait d’inviter ces experts dans les lieux appropriés tels que le Conseil général de l’assurance soins de santé ou encore le Conseil supérieur de la santé, ce qui, à notre connaissance, n’a pas eu lieu. Alors que la signature de l’Accord économique et commercial général par les 28 ministres du commerce européens sera à l’ordre du jour dès la rentrée académique, il est urgent d’éclairer les trop nombreuses zones d’ombre que comporte ce traité.

Documents joints

  1. Santé conjuguée, n°69, décembre 2014, “Europe et marchandisation des soins : politiques et résistances”.
  2. Cette liste est établie au niveau des services statistiques de l’Organisation des Nations-Unies et couvre l’ensemble de l’économie.
  3. Dans le jargon des traités commerciaux, on parle de ‘Mode 1’ de fourniture de services.
  4. Mode 3 : présence commerciale sur le territoire d’un autre pays.
  5. Cinq méthodes de déréglementation peuvent être pratiquées : accès au marché, traitement national, clause de la nation la plus favorisée, interdiction des « exigences de performance » et interdiction des quotas de nationaux dans les instances dirigeantes des sociétés.
  6. Les services sociaux couvrent le champ de la santé puisqu’ils comprennent par exemple l’accueil de personnes âgées, handicapées mais aussi la sécurité sociale.
  7. Les dérogations discutées ici concernent les Modes 1 et 3. Il existe deux autres Modes de prestations de services. Le Mode 2 concerne la consommation de services à l’étranger par des voyageurs belges (exemple : un Belge se fait opérer dans un clinique canadienne) ; la Belgique n’a introduit aucune restriction. Le Mode 4 concerne le détachement temporaire de professionnels étrangers dans des institutions belges. Une lecture en diagonale du chapitre de l’Accord économique et commercial général consacré au Mode 4 montre que notre pays interdit le détachement de travailleurs canadiens dans la plupart des secteurs de la santé (médecins, infirmières, dentistes, psychologues, etc.).
  8. Thomas Fritz, “CETA and TTIP. Potential impacts on health and social services », EPSU, Avril 2016, http ://www.epsu.org/sites/default/ files/article/files/Working%20Paper_HSS%20in%20CETA%2BTTIP_1604.pdf

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 76 - septembre 2016

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