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L’enfant à la crèche : un accueil équitable ?


Santé conjuguée n° 67 - mars 2014

Longtemps considérées comme un ‘mal nécessaire’ (conséquence d’un autre fléau social, le travail des mères de famille), les crèches1 apparaissent aujourd’hui comme un bien public indispensable, au même titre que l’éducation. Depuis quelques décennies en effet, ce mode éducatif fait l’objet d’une reconnaissance sociale et politique. Cependant, les faiblesses de ce secteur restent patentes tant au niveau quantitatif qu’au niveau qualitatif, aspect plus rarement abordé. L’auteur de cet article souligne la nécessité d’une approche globale pour améliorer l’équité en matière de services à la petite enfance.

Du mal nécessaire au bien public

Les premières crèches à Bruxelles et ailleurs en Belgique ont été créées par les philanthropes au milieu du XIXème siècle : elles étaient destinées aux enfants des ouvrières ‘vertueuses’ qui travaillaient hors de leur foyer. En organisant des modes de garde, ces philanthropes poursuivaient non seulement des objectifs sociaux et économiques mais également des objectifs sociaux : il s’agissait de pourvoir à l’ « éducation morale » des enfants et de leurs mères. C’est à ce moment-là que furent inventés les rituels initiaux d’accueil en crèche. Les fonctions sociale, économique et éducative des crèches se sont évidemment profondément transformées depuis lors. Le principal changement est lié au fait que ces lieux d’accueil sont aujourd’hui considérés comme un bien public indispensable ; une bonne partie des parents souhaitent ce service, et les pouvoirs publics lui allouent des ressources. En Wallonie et à Bruxelles, près de un enfant sur deux âgé de moins de 3 ans a eu une expérience de vie en crèche ou au domicile d’une accueillante avant l’âge de 2,5 – 3 ans. La législation relative au secteur se réfère au droit universel à l’accueil, dans la ligne de la Convention internationale des droits de l’enfant. Enfin, les acteurs politiques soutiennent préférentiellement le financement public de services subventionnés, semblant peu tentés par une marchandisation totale de ce service pour rencontrer la demande, comme cela s’est déployé dans quelques pays voisins comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas par exemple : deux-tiers des nouvelles places créées depuis 2001 en Wallonie et à Bruxelles sont des places subventionnées.

Les bénéfices de l’accueil

Le point de vue économique Les objectifs fixés par le Conseil européen au sommet de Barcelone en 2002 proposaient comme critère que l’offre de structures d’accueil couvre au moins 90% des enfants âgés entre trois ans et l’âge de la scolarité obligatoire et au moins 33% des enfants âgés de moins de trois ans d’ici 2010. Ils avaient essentiellement pour cible la dimension économique de la question, la pénurie de places d’accueil étant une entrave au travail et à la formation. Le point de vue psychosocial En fait, les bénéfices potentiels sont beaucoup plus larges. L’accueil éducatif des jeunes enfants est un dispositif relatif à l’égalité des chances, pour les femmes et pour les enfants. Pour les femmes, il permet une répartition plus équitable de l’emploi à temps plein sur le marché du travail et, parallèlement, une amélioration du revenu du ménage et des conditions de vie de tous ses membres. Il représente également un facteur favorable à la conciliation vie familiale et vie professionnelle pour les mères, ou même pour les deux parents ; ce qui, incidemment, favorise la natalité. Sur le plan social, les milieux d’accueil et d’éducation du jeune enfant représentent un premier lieu de socialisation de l’enfant mais ils sont plus que cela : ce sont des lieux collectifs où les parents de très jeunes enfants peuvent investir leur nouvelle fonction, et créer de nouvelles relations avec d’autres en soutien de leur identité parentale en construction. Pour les enfants, l’impact de l’accueil se marque au niveau du développement global. La littérature récente utilise abondamment un argument relatif aux neurosciences selon lequel les expériences de la petite enfance affectent le développement du cerveau, et invoque l’impact favorable des services éducatifs de la petite enfance au bénéfice des enfants de milieux défavorisés. Cette argumentation, certes intéressante n’est valable que dans l’hypothèse où les services d’accueil éducatif offrent un environnement de qualité et une source stable de soins attentifs. En somme, l’investissement global est insuffisant pour que ce secteur génère des bénéfices sociaux, économiques et éducatifs suffisants pour jouer un rôle dans l’égalité des chances pour les femmes et pour la lutte contre la reproduction sociale des inégalités dès l’enfance, comme le recommandent de plus en plus d’organisations internationales.

La Fédération Wallonie Bruxelles : peut mieux faire

Bien que l’accueil de la petite enfance fasse aujourd’hui partie des politiques publiques, les faiblesses de ce secteur restent patentes : en 2011, il y avait en moyenne 20 places d’accueil subventionnées et 8 places non subventionnées pour 100 enfants âgés de moins de 3 ans dans la Fédération Wallonie Bruxelles2. Dans un contexte d’accroissement démographique tel qu’on l’observe à Bruxelles, les difficultés rencontrées par les familles pour inscrire leur enfant dans un milieu d’accueil s’accroissent considérablement et s’étendent aujourd’hui à l’école maternelle. La plupart des acteurs institutionnels et politiques considèrent la pénurie de place comme regrettable mais inévitable, et ils se consolent vite, vu l’absence de réels mouvements sociaux autour de la question. Sur le plan qualitatif, les efforts déployés depuis plus de 30 ans pour que la formation des professionnels soit à la hauteur des bénéfices attendus n’ont pas encore abouti, ce qui fait que les puéricultrices ont toujours une formation de niveau secondaire professionnel. Le problème de l’accessibilité qui est au centre des questionnements résulte de l’organisation du réseau de services, des procédures d’inscription et des systèmes de priorité. Cette organisation n’est actuellement pas équitable : une offre plus abondante de services s’observe généralement dans les zones géographiques les plus favorisées, même si l’ONE tente de rectifier la situation par une programmation ciblée. Par ailleurs, les inscriptions précoces ont plus de chances de passer ; or, elles nécessitent d’être en mesure d’anticiper à l’avance sur les conditions d’emploi, ce qui favorise les couples à double revenus. Toutefois certaines directions de services ont pris l’option de développer une politique d’accueil plus sociale en réservant un quota significatif de places pour des enfants dont la demande des parents sort de cette dernière catégorie. L’accessibilité n’est pas qu’organisationnelle, formelle : ce qui se passe une fois l’accès accordé, une fois la porte passée joue également un rôle3. Cette accessibilité dite ‘secondaire’ concerne la qualité de l’accueil et la pertinence des services, les relations entre professionnels, parents et enfants, l’efficacité de ce qui est réalisé dans le cadre du service. L’objectif est d’organiser et mettre en oeuvre un environnement humain et matériel qui soit riche, où chaque enfant puisse trouver ce qui l’intéresse quel que soit son milieu social ; il s’agit aussi que des relations positives entre professionnels et enfants, professionnels et parents puissent se développer dans le cadre d’un partenariat où l’écoute, la confiance et le respect sont réciproques et où les parents et les enfants les plus vulnérables trouvent une place légitime. Aucune évaluation d’ensemble de cette accessibilité n’est actuellement disponible. Des inégalités sociales d’utilisation des milieux d’accueil sont observées entre les enfants selon leur milieu social et familial : appartenir à un milieu favorisé et fréquenter un bon service d’accueil vont de pair. Des études ont montré que ces inégalités s’atténuent pour disparaitre complètement lorsqu’il y a une offre abondante de services4. En effet, la lutte pour un produit abondant est moins sévère que pour un produit rare.

Pour une plus grande équité

On constate encore trop souvent que les objectifs de renforcement des milieux d’accueil et d’éducation du jeune enfant se limitent à une augmentation de la disponibilité de places dans une logique économique. Or, cela réduit l’organisation des contextes éducatifs des jeunes enfants à un service sans valeurs propres ni perspectives globales. Ouvrir de nouvelles places ne permet pas en soi de rendre plus équitable la fréquentation de ces services. Ce n’est qu’en envisageant également la qualité des services en regard de leur rôle social et éducatif pour tous, et en s’attelant à des pratiques d’inclusion que ce gradient défavorable aux familles vulnérables peut diminuer. L’ONE, qui est en première ligne tente d’oeuvrer dans ce sens, mais doit encore convaincre beaucoup d’acteurs politiques.
Les effets économiques (taux d’activité à temps plein des femmes, revenu), sociaux (inclusion sociale, réduction des inégalités socio-économiques, égalité des chances), éducatifs (développement global des enfants, apprentissages, soutien à la parentalité) de l’accueil de jeunes enfants sont donc intriqués, et forment un tout qualitatif qui ne permet pas d’isoler un axe d’action au détriment d’un autre.

Documents joints

  1. Et autres structures d’accueil et d’éducation du jeune enfant.
  2. ONE. Rapport annuel 2011.
  3. Lombrail, P., « Inégalités de santé et d’accès secondaire aux soins ». Revue d’Épidémiologie et de Santé Publique 55(1): 23–30, 2007.
  4. Farfan-Portet M-I, Lorant V, Petrella F. “Access to Childcare Services: The Role of Demand and Supply-Side Policies”. Population Research and Policy Review. Vol. 29, Issue 3.2011

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 67 - mars 2014

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