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Introduction


Santé conjuguée n° 77 - décembre 2016

Les liens entre langage et soin ont déjà fait couler beaucoup d’encre, ce n’est guère étonnant : un des ressorts fondamentaux du « prendre soin », c’est justement le langage, l’histoire qui se raconte dans une relation et à un moment particuliers, la manière dont elle se raconte, dont elle est entendue, ce que produit le récit. L’importance de cette parole est parfois oubliée – entre autres à cause des développements scientifiques et technologiques, des nouveaux modes de management… Espérons que l’encre continue à couler sur ces questions !

Le langage intervient dès les premiers débuts de la vie. Dès que l’enfant naît, on l’embrasse, on lui parle, on lui chante : il est « happé par le langage », écrit Nancy Houston dans son livre l’Espèce fabulatrice. Et il est nommé, parfois même avant de naître. Son nom de famille est une donnée régie par sa culture d’appartenance, et il reçoit un prénom qui l’inscrit dans une filiation, dans les désirs que son entourage a pour lui : sa réalité présente est d’emblée, par le langage, articulée au passé, à l’avenir, à une histoire. Et tout au long de sa vie, il percevra le monde en intrication avec un certain langage, lui-même ancré dans une culture, des valeurs, des représentations.

Le langage permet aux êtres humains de communiquer, mais cela ne va pas de soi. Avant tout, bien sûr, quand on ne parle pas la même langue (la traduction n’est jamais parfaitement fidèle : traduttore tradittore). De plus, au sein d’une langue, de nombreux mots sont polysémiques et le même mot peut être connoté de manière différente par chaque interlocuteur. Enfin, différents langages coexistent dans une même langue : les langages professionnels, par exemple, permettent de nommer des faits, des objets, des concepts qui ne peuvent pas être bien cernés par le vocabulaire courant (ces langages spécifiques créent de nouveaux mots ou donnent un autre sens à un mot courant – polysémie : la cellule évoque tout autre chose pour un médecin que pour un prisonnier). Ceux qui maîtrisent un langage particulier peuvent, à travers lui, se comprendre rapidement, sans périphrases, mais aussi se reconnaître, se distinguer de ceux qui l’ignorent, voire exercer un pouvoir sur eux : le langage est un instrument de pouvoir dans tous les contextes de domination.

Le langage a différentes fonctions ; Jakobson en a distingué six et son analyse permet de réfléchir à ce qui se joue dans un échange, éventuellement de manière non intentionnelle :

la fonction d’information, largement utilisée, est à l’œuvre lorsque l’on décrit un fait objectif (« votre tension artérielle est de 16/10 ») ;

la fonction expressive porte sur l’énoncé de la subjectivité, du ressenti (« je suis très inquiet ») ;

la fonction conative est à l’œuvre lorsque le but du discours est d’influencer l’interlocuteur (« il faut absolument que vous changiez votre alimentation ») ;

la fonction phatique concerne l’utilisation de mots qui maintiennent le contact avec l’interlocuteur (« vous voyez ? ») ;

la fonction métalinguistique intervient lorsqu’on explicite le sens des mots utilisés, par exemple pour vérifier que chacun parle bien de la même chose (« nous définissons le terme santé selon l’Organisation mondiale de la santé qui dit que… »).

La sixième fonction est la fonction poétique (qui n’est pas propre au genre littéraire classiquement appelé poésie). Cette fonction est particulière, elle est assez peu à l’œuvre (et peu valorisée) dans la vie courante. Ici, l’attention est centrée sur le message lui-même et donc sur le langage : il s’agit de prendre une liberté par rapport au sens commun et aux codes linguistiques qui, tout en étant structurants, peuvent aussi être enfermants.

Ces différentes fonctions peuvent bien-sûr être à l’œuvre dans un même message, leur poids respectif donne une certaine couleur à l’échange et à la relation entre les interlocuteurs.
Ces quelques réflexions constituent en quelque sorte la toile de fond de ce dossier. Celui-ci est toutefois plus spécifiquement orienté sur le langage écrit, qui garde une place centrale dans la plupart des sociétés.

Les articles présentent différents points de vue. Un point de vue socio-politique, où sont abordés les rapports entre langage et pouvoir ainsi que les inégalités sociales quant à la maîtrise du langage et de l’écriture. Ces inégalités ont un impact sur la santé. Sont-elles le fait du hasard, comment les approcher, quelles sont les pistes d’action, notamment au niveau des services de santé ?

Une approche de ce que peut susciter une expérience d’écriture en lien avec la santé, selon trois axes : le premier aborde la variable des publics et des contextes ; le deuxième présente l’écrit comme outil pour les professionnels et le troisième recense des questions de santé dans la littérature.

Enfin, en forme de conclusion, un éclairage sur la pratique de l’écriture en tant qu’expérience de vie ; une expérience porteuse de sens, qui peut se déployer sur le terrain des soins, de la promotion de la santé, ou dans la vie de tout un chacun.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 77 - décembre 2016

Littérature, patients et médecins et Réflexions sur la doulou

Littérature, patients et médecins Des médecins écrivains ; d’autres qui ont rencontré la maladie et écrit à son sujet ; des patients devenus écrivains. Au cours du temps, l’écriture et la littérature ont donné du sens(…)

- Dr André Crismer, Dr Pierre Drielsma

Littératie en santé : récit d’animations collectives

Le concept de littératie en santé propose des balises pertinentes pour agir en faveur de la santé. Pour aller plus loin, Cultures&Santé a voulu mettre à l’épreuve une hypothèse particulière, peu abordée dans la littérature :(…)

- Alexia Brumagne

Combien de « n » à citoyenneté ?

Un atelier d’écriture qui agit sur le réel et qui permet à des gens en difficulté de se redéployer. Cette expérience dans un centre pour sans-abri montre à quel point la reconnaissance de l’autre en tant(…)

- Gisele Eyckmans

Prête-moi ta plume

Nous ne sommes pas tous égaux face à l’écriture ! Pour lutter contre cette forme d’inégalité, la Régionale Présence et action culturelles de Liège a créé en 1999 l’Espace écrivain public : une formation agréée, un réseau de(…)

- Christian Tribolet

Pour une médecine plus intuitive et introspective

Raconter sa maladie peut être bénéfique au patient. Développer des compétences narratives chez les étudiants en médecine peut également se révéler favorable à la relation entre soignant et soigné. Pierre Firket est médecin et professeur à(…)

- Marinette Mormont, Pierre Firket

Dossier informatisé : le narratif et la standardisation au service du patient

Le dossier informatisé permet d’articuler l’enregistrement d’éléments standardisés et de textes libres pour créer une narration. Pour Benjamin Fauquert, médecin généraliste à la maison médicale Le Noyer et chercheur à l’école de santé publique de l’ULB,(…)

- Dr Benjamin Fauquert, Marinette Mormont

De l’idée à l’écrit collectif publié

Philippe Kinoo est psychiatre infanto-juvenile, psychothérapeute et responsable du KaPP, l’unité d’hospitalisation de psychiatrie infanto-juvénile aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles. Il dépeint une pratique d’écriture collective en milieu pédopsychiatrique.

- Nicole Dedonde, Philippe Kinoo

De l’écoute à l’écriture

Un travail permettant d’entendre et de mettre au jour une parole qui pourrait se perdre dans la violence ou la banalité du quotidien, une parole indicible, floue, secrète : c’est ainsi que Nicole Malinconi explicite sa démarche(…)

- Lebrun Jean-Pierre, Nicole Malinconi

La « littératie en santé », avatar creux ou concept dynamisant ?

Mise en avant comme déterminant de la santé ou comme stratégie d’éducation du patient, la « littératie en santé » est un concept relativement neuf qui suscite beaucoup d’intérêt et dont le champ s’est progressivement élargi. Mais faut-il(…)

- Gilles Henrard, Marianne Prévost

Création, écriture et psychiatrie

L’art est une parole d’homme à homme. Si une oeuvre d’art nous touche c’est parce qu’elle a été conçue par un humain et parle à notre humanité, la nourrit, l’enrichit au point de renouveler notre regard(…)

- François Tirtiaux

Derrière les mots, l’idée

Derrière l’usage d’un mot se tapit un concept, une idée. Ce ne sont pas toujours des mots nouveaux, parfois des mots auxquels l’usage donne une ampleur nouvelle.

- Pascale Meunier

Introduction

Les liens entre langage et soin ont déjà fait couler beaucoup d’encre, ce n’est guère étonnant : un des ressorts fondamentaux du « prendre soin », c’est justement le langage, l’histoire qui se raconte dans une relation et à(…)

- Marianne Prévost

Des mots et des maux qui se disent et qui s’écrivent

Comment écouter quelqu’un sans entendre sa voix ? Comment établir un lien par écrit ? La relation est-elle différente ? Est-il possible d’exprimer des sentiments, un vécu ? Garde-t-on sa spontanéité ? Bref, est-il est possible(…)

- Pascal Kayaert

Internet, lieu de diffusion du savoir des patients

Bloguer sa maladie ou raconter son vécu sur un forum de discussions est aujourd’hui monnaie courante. Cette pratique procure des bienfaits aux patients, mais comporte peut-être sa part de risques. Une chose est sûre, sa généralisation(…)

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Paroles de murs

Bien sûr, on a de tout temps exprimé ses opinions sur les murs, mais jusqu’il y a deux ans je n’y prêtais pas une grande attention. Tout a commencé un jour, en traversant la forêt de(…)

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L’alphabétisation : une question sociale avant tout

L’alphabétisation désigne les pratiques de formation à la lecture, l’écriture, l’expression orale, les mathématiques… des adultes qui ne maîtrisent pas ou plus les compétences de base équivalentes au certificat d’études de base. Ces personnes ont suivi(…)

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Ecriture au singulier

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Les pages ’actualités’ du n° 77

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Dans le cadre du budget 2017, la ministre fédérale de la Santé Maggie De Block a annoncé un moratoire de six mois sur la création de nouvelles maisons médicales forfaitaires. Le but : économiser 7 millions(…)

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Plate-forme eHealth : risques et opportunités

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