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Il était une fois… Le GERM


Santé conjuguée n° 70 - avril 2015

Grande personnalité politique et scientifique belge, Lise Thiry s’est engagée dans de nombreuses causes comme le féminisme, la défense d’une médecine sociale, le soutien aux victimes du SIDA et l’appui aux demandeurs d’asile. Chercheur à l’Institut Pasteur et professeur à l’université de Bruxelles, cette virologue fut aussi co-fondatrice du GERM, dont elle retrace ici les tout premiers débuts : quelques traces de l’histoire des maisons médicales.

Un jour, à l’Institut Pasteur, Elie Vamos, alors jeune chercheur dans le service de virologie, me prit à part, un peu bizarrement… comme pour un complot. Il me dit qu’il venait d’adhérer à un nouveau groupe, encore sans nom. Les motivations en étaient encore peu plus claires. Mais ses propos me plurent, et le nom de certains médecins engagés dans ce groupe me plurent aussi. J’acceptai donc de venir participer à leurs réunions du soir.

Les futurs créateurs du groupe n’avaient même pas encore le nom de GERM, « Groupe d’étude pour une réforme de la médecine » (on aurait pu, à vrai dire, trouver un meilleur titre, car donner un but négatif n’est pas très constructif). Nous ne possédions pas encore de bureau et nous nous réunissions chez l’un ou l’autre le soir, ce qui renforça sans doute notre solidarité, vers des amitiés profondes. Je nous revois par exemple, Maurice Goldstein rescapé d’Auschwitz, aux côtés d’Elie Vamos qui susurre de douces suggestions révolutionnaires… Et l’on prendra bientôt quelques décisions, grâce au dynamisme et à la persévérance du cardiologue Henri Cleempoel. Chez celui-ci, sous le flegme britannique se cachait un frémissement intérieur. Il me semble qu’il devint mon meilleur ami. Ce fut le cas, sans doute, pour plusieurs d’entre nous. Puis, bien vite se joindra à nous le gynécologue Willy Peers1 qui apportera sa fougue et son courage.

Des premiers soutiens financiers nous permirent de louer un bureau, au quatrième étage d’un immeuble au centre de Bruxelles. Nos préoccupations concernèrent vite les relations du médecin avec son malade. Certes, le « patient », le souffrant, c’est le plus souvent, un malade qui tousse, ou bien se plaint de maux de tête. Mais c’est aussi, parfois, une personne qui déclare : « Je ne me sens pas bien dans ma peau ». Et ce, dès sa première visite. Il nous parut que très tôt, dès le premier contact entre le « client » et son médecin, il serait bon que celui-ci demande la collaboration d’un psychologue, d’une infirmière. Ceci devrait aider à mieux accompagner le malade dans son parcours.

Le but se précisa, progressivement, vers une collaboration, en-dehors de l’hôpital, entre médecins, infirmières, psychologues, voire d’autres, pour entourer au mieux un « client ». Au fil des années, notre projet se concrétisera. On parlera de « médecine de groupe ». Très vite, notre comportement déplaira vivement à l’Ordre des médecins. Selon lui, nous accordions trop de « confiance » à ceux qui n’avaient pas acquis assez de compétence, puisqu’ils n’avaient pas étudié pendant sept ans. Nous répliquions que les psychologues, les infirmières n’avaient pas acquis moins que nous, mais autre chose, d’additionnel.

Par ailleurs, l’Ordre va trouver regrettable que certains membres du GERM se soient « ridiculisés » en participant aux activités du groupe Balint. Groupe qui – pour synthétiser à l’extrême -, pense qu’il y a, dans les signes d’une maladie, plus que les symptômes bruts. Mais parfois aussi une « dimension personnelle intérieure » une perception de la maladie, différente de celle apportée par les outils diagnostiques de la médecine.

Arrive « Mai 68 », qui se reproduisit à Bruxelles en 1969. Nous étions passionnés. Les yeux si calmes de Henri Clempoel pétillaient. On peut concevoir que l’Ordre aie sourit de cette exubérance « plus philosophique que scientifique »… mais de là à dénoncer ce « comportement enfantin » comme incompatible avec notre métier…

Revenons plutôt à nos actions sérieuses. Il me semble que le projet le plus réaliste du GERM fut celui de la pratique de la médecine de groupe. Puis nous publions un mensuel. Je m’en veux ferme d’avoir perdu ces petits journaux. Je me rappelle y avoir publié, entre autres « Vaccins ou maladies ; mettez vous-mêmes les poids dans la balance ». On devine vers quoi je balançais… Mais ce texte avait suscité une prise de position, assez militante, de certains écologistes qui remettaient en question le vaccin, à cause de son côté artificiel. Selon eux, il était plus sain de laisser la maladie elle-même s’exprimer naturellement… Mais puisque nous persistions à collaborer avec des gens qui n’avaient pas fait sept ans d’études, quelques-uns d’entre nous furent convoqués, individuellement, à venir nous expliquer devant l’Ordre des médecins. Si nous persistions dans notre comportement, cela signifierait que nous ne pouvions plus fonctionner en tant que médecins. Pour ma part, je figurai parmi ces convoqués. Être rayée de l’Ordre, cela aurait signifié la perte de ma fonction, à l’Institut Pasteur. Mais au total l’Ordre n’était pas dominé par quelques extrémistes. Dans chacun de nos deux ou trois cas, nous fûmes « acquittés », autorisés à rester en fonction. Ouf, quel soulagement… Pour pouvoir fêter la Noël toute proche.

Mais les années auront beau s’écouler : l’Ordre des médecins ne me lâche pas. Je retrouve aujourd’hui une lettre du Conseil du Brabant datée du 15 mai 1992. En voici le texte :

« Madame, Par la présente, nous nous permettons de vous rappeler notre lettre du 21 juin 1999 relative à l’asbl « prévention SIDA prostitution », et par laquelle nous vous demandions soit de démissionner, soit d’obtenir la démission des membres non médecins et de transmettre un contrat réglant les modalités d’activités du médecin. Sauf erreur, nous sommes toujours sans nouvelles de votre part. Pourriez-vous nous faire connaître, sans plus de délai, la suite qui y a été réservée ? A vous lire, nous vous prions de croire, Madame, à l’expression de nos sentiments confraternels. Signé : le docteur J. Marin ». …

Telles furent les péripéties et les activités du GERM, pendant les premières années. Je fus un peu moins présente, les années suivantes, suite à ma dispersion en activités. Mais lorsque j’ai été sénateur, j’avais droit à une secrétaire à temps partiel. Le GERM l’hébergea dans ses petits locaux, et là « ma » secrétaire put travailler à la fois pour moi et pour le GERM. Les membres de ce groupe jetaient un œil sur le texte de mes petites interventions au Sénat, et parfois me suggéraient un ajout. Par ailleurs, j’étais toujours présente aux réunions du GERM les mercredis soirs. A ce propos une anecdote : un jour, dont la date m’échappe au moment où j’écris, je suis élue « femme de l’année ». Cela fait grand bruit, pour quelques jours, et mon premier souci c’est « Mon dieu… Mais on va trouver cela ridicule au GERM ! ». Aussi, ce mercredi soir de la réunion du GERM, je remonte à pas lents l’étroit escalier qui m’amène jusqu’au petit local. Courageuse, j’ouvre quand même la porte. Ils sont là… qui tous applaudissent en chœur. « On est fier, on est fier ! ». Ouf…

Documents joints

 

  1. Willy Peers a lutté pour la femme et le choix de la maternité, la contraception et la légalisation de l’avortement, ce qui lui a valu un emprisonnement en 1973.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 70 - avril 2015

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