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Hôpitaux : sans tabac ou sans fumeurs ?


Santé conjuguée n° 62 - octobre 2012

Les dernières mesures législatives (arrêté royal du 19 janvier 2005 et de l’arrêté royal du 13 décembre 2005) ont facilité la limitation stricte de la consommation tabagique dans les institutions hospitalières et les démarches actives de prise en charge, tant pour les patients que pour les membres du personnel. Elles ont ainsi pu s’inscrire dans le Réseau des « hôpitaux sans tabac »1, et y trouvent un terrain favorable pour structurer et enrichir leurs initiatives. Dans ce cadre, l’objectif du Réseau est d’arriver à une limitation stricte de la consommation de tabac dans les établissements hospitaliers. Ce qui implique une sensibilisation tant des patients que des membres du personnel, la formation des professionnels, la mise en place de structure(s) d’aide au sevrage et à l’arrêt tabagique. Les dynamiques mises en place afin d’atteindre ces objectifs concernent avant tout le partage et la valorisation des initiatives locales. Depuis 2009, le réseau se focalise plus particulièrement sur le développement, à l’intérieur des institutions psychiatriques, de démarches de sensibilisation à la question de la gestion du tabagisme.

Les démarches proposées et mises en place au sein du Réseau « hôpitaux sans tabac » répondent à la situation réelle du milieu hospitalier, de même qu’aux demandes et besoins des institutions – membres. Des réunions régulières (regroupées avec celle des Centre d’aide aux fumeurs© depuis 2011) permettent avant tout de partager les expériences de chaque institution et de construire ensemble des outils, des procédures ou des projets-pilotes. Pour mieux comprendre la situation, une enquête s’intéressant à la prévalence du tabagisme parmi les membres du personnel des hôpitaux a permis en 2009 de mettre en avant les résultats suivants : sur 3342 travailleurs, la prévalence globale du tabagisme était de 19,9% de fumeurs quotidiens (ils étaient 21% pour la population générale dans l’enquête fédérale de santé de 2008). La prévalence était, comme dans la population générale, liée au statut social des individus : plus le statut socio-économique est élevé, plus la prévalence tabagique est faible. Sur les deux institutions psychiatriques représentées, l’une comptait 25% de fumeurs quotidiens et l’autre 34%. Ces chiffres rejoignent les chiffres de la littérature qui montrent une prévalence plus grande de fumeurs parmi le personnel hospitalier en psychiatrie. Quelles démarches de soutien aux institutions ? Depuis 2005 donc, de nombreuses initiatives et actions ont été développées autour d’axes de travail récurrents. Le premier est la communication : via des affiches pour sensibiliser le public ciblé ainsi que le site internet (www.hopitalsanstabac.be) ou encore plusieurs brochures… Le soutien direct aux institutions a par ailleurs été assuré par l’équipe du FARES. Elle intervient directement à la demande des hôpitaux pour participer à des réunions de direction ou à celles du comité local de gestion du tabagisme, afin de faciliter la mise en place des initiatives de terrain. Un Réseau belge ancré dans l’international Le Réseau belge francophone des hôpitaux sans tabac travaille en parallèle avec le réseau de la partie néerlandophone du pays : ces deux réseaux régionaux sont intégrés dans le réseau européen. Le Code européen des hôpitaux sans tabac (2008) repose sur neuf axes qui constituent la charpente du développement de chaque institution : 1.Mobiliser les décideurs, mettre en place un comité de prévention et refuser tout sponsoring de l’industrie du tabac. 2.Définir une stratégie et coordonner les actions. Informer tous les personnels, patients et publics. 3.Mettre en place un plan de formation des personnels et les former à l’abord du fumeur. 4.Prévoir l’aide au sevrage, organiser la prise en charge adaptée et le suivi du fumeur y compris après son séjour à l’hôpital. 5.Organiser l’interdiction de fumer dans l’enceinte de l’hôpital. Si des zones fumeurs persistent, elles doivent être clairement indiquées. 6.Adopter une signalétique et un affichage approprié. Supprimer toute incitation au tabagisme : cendriers, vente de tabac. 7.Développer des politiques de gestion de ressources humaines afin de protéger et promouvoir la santé au travail du personnel hospitalier. 8.Promouvoir les actions de promotion de la santé en dehors de l’hôpital. 9.Renouveler les campagnes d’information. Assurer la continuité et se doter de moyens d’évaluation (assurance qualité, accréditation…). Un soutien continu est proposé aux institutions membres afin de faciliter leur mise en pratique. Ces neufs axes visent quatre publics « cibles » : les patients, les membres du personnel, les visiteurs et l’environnement du patient. Ensuite, il s’agissait d’assurer la diffusion d’informations, tâches essentielles du Réseau qui consiste à partager un maximum d’informations détaillant les initiatives mises en place autant au niveau national que dans les autres pays. Et cela afin de permettre à d’autres institutions de s’inspirer, si nécessaire, d’actions menées ailleurs… C’est avant tout à travers les rencontres périodiques, les échanges informels entre institutions, les colloques annuels ou le site internet que cet échange a lieu. La formation n’a pas été oubliée : depuis son initiation, la dynamique de la gestion du tabagisme en milieu hospitalier a été intimement liée à l’entretien motivationnel. Ce mode de communication destiné à aider l’individu à construire sa propre motivation permet, tant par rapport aux patients que par rapport aux membres du personnel d’approcher de manière positive, non culpabilisante et constructive, la question de la consommation de tabac. Plusieurs formations destinées aux soignants des hôpitaux membres ont dès lors été organisées en ce sens, partiellement en collaboration avec l’Institut Bordet. En plus de l’entretien motivationnel, les rencontres entre hôpitaux offrent l’opportunité d’échanger des informations sur la gestion de la dépendance nicotinique et sont donc à considérer comme des moments de formation. Autre axe d’action : les démarches thématiques, afin de pouvoir toucher des populations-cibles spécifiques par des projets particuliers. Le périopératoire, la maternité ou la psychiatrie font ainsi l’objet de programmes complets déclinés selon la philosophie et la charte des hôpitaux sans tabac. À l’hôpital Erasme et au centre hospitalier régional de la Citadelle, une série d’actions et de structuration de démarches ont été proposées : séminaires spécifiques à chaque spécialité chirurgicale, affiches, dépliants, implication des médecins de famille, arbre d’intervention, numéro d’appel centralisé… Un colloque annuel rassemble enfin les hôpitaux membres, en plus des réunions périodiques déjà citées. Il est le point de rencontre, de partage et d’échanges entre ces institutions. Une des actions partagée par toutes les institutions concerne la gestion des lieux où la consommation de tabac est encore tolérée. La question de la présence d’un fumoir dans une institution hospitalière Au fil des années, à travers les rencontres des hôpitaux membres du Réseau, cette question a été abordée à de multiples reprises. Une approche respectueuse des fumeurs et surtout progressive a permis de supprimer tout tabagisme passif et aussi d’arriver, dans la grande majorité des situations, à externaliser les fumoirs. Et puis, il ne faut pas oublier le rendez-vous annuel du 31 mai, « Journée mondiale sans tabac », véritable moment phare. Des actions communes sont proposées aux institutions (mesures de CO dans l’air expiré, distribution de pommes ou de graines, concours de dessins d’enfants,…).

Des initiatives à l’appel

Comme on le voit, chaque institution membre a développé ses propres initiatives ; d’ailleurs, le dynamisme de certaines d’entre elles est remarquable. Les actions sont initiées au départ par un comité multidisciplinaire dédié à la gestion du tabagisme. Elles seront menées dans des domaines variés : en termes de communication (affichage, utilisation de supports vidéo, intranet, internet…), de formations informations (séminaires internes ou externes, modules de formation…), de collaboration structurée avec les structures externes (maisons médicales, association de médecins généralistes…), de structuration interne (réseau d’infirmièresrelais) ou de promotion globale, entre autres lors de la journée du 31 mai avec des actions originales (jogging, test du goût, mesure rapide de la capacité respiratoire…). L’ensemble de ces initiatives fait l’objet de partage lors des différentes rencontres entre hôpitaux.

Une auto-évaluation régulière

L’outil central qui sous-tend les démarches du Réseau des hôpitaux sans tabac est l’auto-audit. Au moins tous les deux ans, les hôpitaux membres sont invités à compléter un questionnaire destiné à permettre à chaque institution d’évaluer ses démarches et de les faire évoluer si nécessaire. Cet outil est directement basé sur le code européen. Il est extrêmement intéressant d’observer que depuis l’initiation du réseau en 2005, les résultats obtenus par les institutions montrent une progression constante des « cotes » attribuées aux différents axes de développement de la démarche. Cela démontre l’intérêt et le dynamisme des institutions pour la prise en charge globale du tabagisme. Et dans le secteur psychiatrique, où les stratégies doivent parfois être adaptées, puisque la question de la gestion du tabagisme reste parfois plus délicate à aborder, des enquêtes sont menées lors de chaque conférence ou séminaire organisés dans les différentes institutions. Et depuis que cette procédure a été mise en place en 2009, il en ressort de manière flagrante l’intérêt global du secteur psychiatrique par rapport à cette thématique et aussi l’augmentation du sentiment d’efficacité des soignants par rapport à leurs capacités de prendre en charge le tabagisme des patients dont ils ont la charge, même s’il reste un travail certain de formation à mettre en place.

L’avenir : l’individu au centre

À travers le Réseau des hôpitaux sans tabac et au-delà de l’objectif de gestion du tabagisme, la philosophie qui est portée est avant tout centrée sur la personne ; qu’il s’agisse du patient ou du professionnel de santé. À l’avenir, comme en France, le Réseau sera peut-être amené à s’intéresser à d’autres « addictions » avec toujours comme éléments sous-tendant cette approche, le respect du cheminement de l’individu, la mise en place de démarches multiples ainsi que l’importance de l’interdisciplinarité tant dans l’institution qu’au-delà ; le professionnel de santé central dans la prise en charge du patient demeurant le médecin généraliste.

Documents joints

  1. Grâce au Fonds de lutte contre les assuétudes, le Fonds des affections respiratoires assure depuis 2005 la coordination du Réseau des « hôpitaux sans tabac » pour la partie francophone du pays. Ce Réseau compte aujourd’hui près de 50 institutions hospitalières et sites.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 62 - octobre 2012

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