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Grandeur et misères des plans Impulseo


Santé conjuguée n° 46 - octobre 2008

Pour faire face à la désaffection pour la médecine générale, deux plans nommés Impulseo ont été lancés. Ils constituent une première réponse au problème, utile mais incomplète. Ce n’est qu’en travaillant sur l’ensemble des paramètres de l’attractivité que l’on parviendra à renverser la vapeur.

Il y a en Belgique plus de 22.000 médecins généralistes en âge de travailler, mais moins de la moitié de ceux-ci pratiquent la médecine générale. Les quotas de médecine générale sont détournés vers la spécialité1 qui elle est globalement pléthorique. La médecine générale n’attire plus, voilà la grande question. Face à ce défi, le ministre de la Santé, Rudy Demotte, avant de partir diriger d’une main de fer notre bien aimée Wallonie, puis notre mère à tous la Communauté française, a concocté un plan Impulseo. Ce plan doit, dans une première phase appelée Impulseo 1, améliorer l’attrait de la médecine générale en particulier dans les zones mal couvertes2. Les premières évaluations de l’impact d’Impulseo 1 semblent montrer qu’on est plus actif au nord du pays pour récolter la manne financière destinée aux déserts médicaux et aux postes avancés de la rédemption sociale. Paradoxalement c’est en Wallonie que les besoins sont les plus élevés… Le dit plan favorise, dans sa seconde phase, appelée Impulseo 2, le regroupement des généralistes en intervenant dans les frais de personnel induits par l’embauche d’un(e) assistant(e) de pratique. Tout cela est bel et bon, mais on peut regretter que les mesures administratives annexes soient parfois dissuasives, en particulier pour de jeunes médecins. Par ailleurs, il faut se réjouir que le Gouvernement ait enfin réussi à accoucher d’un premier embryon de structuration des pratiques. Cela fait plus de trente ans que nous entonnons la même ritournelle. Mais comme nous l’a dit jadis, avec une sincérité désarmante, notre actuelle ministre : nous avons le grand tort d’avoir raison trop tôt. Alors, Khaïré (réjouis-toi) comme disaient les grecs, et au boulot car il reste encore beaucoup de pain sur la planchette. La médecine générale n’attire plus, que faire ? On ne peut renverser la vapeur qu’en travaillant sur l’ensemble des paramètres de l’attractivité : 1. Même s’il n’y a pas que l’argent dans la vie on peut se poser la question de la rémunération de ce métier qui est extrêmement complexe, qui comporte une part de lumière, mais implique aussi la participation compassionnelle à de nombreux drames humains, deuil, chômage, séparation, handicap, etc. Un métier au carrefour des besoins individuels et collectifs, de la science et de la sagesse. Pour Wienke Boerma et alii3, il n’est pas sûr que les médecins généralistes souhaitent en même temps être les avocats-santé de leurs patients et les gestionnaires de l’assurance– maladie ! Donc il faut attribuer des revenus adéquats, à la hauteur des tâches remplies et de l’utilité sociale à cette profession négligée. 2. Il faut des conditions de travail efficaces tant sur le plan technique que sur l’assistance humaine. Il faut des horaires qui permettent au médecin généraliste d’avoir une vie privée, tout en sachant que les patients ne sont pas abandonnés et que leur remplaçant disposera de toutes les données pertinentes pour des soins humains et de qualité. De ce point de vue, l’informatisation devrait être obligatoire au moment de l’installation pour les nouveaux confrères. Les aspects administratifs du métier doivent être transférés vers des professionnels formés à cet effet. Les remplissages des papiers représentent pour les médecins généralistes une contrainte particulièrement dissuasive. 3. Il faut en finir avec la médecine soliste, sauf peut-être en milieu rural4. Le praticien doit se soutenir via des rencontres fréquentes avec ses confrères et d’autres professions qui soignent avec lui une patientèle commune. Au delà d’Impulseo 2, les pratiques de groupes doivent bénéficier d’une reconnaissance officielle, comme le prévoyait déjà l’arrêté Colla, puis Aelvoet. Le sabotage éhonté de l’Association belge de syndicats médicaux (ABSyM) a fait perdre de précieuses années à la réforme des soins de première ligne en Belgique. Le grand risque c’est que nos politiques s’y prennent comme Louis XVI. Lorsqu’il a réalisé des réformes l’on a pu dire à leur sujet : trop peu, trop tard… 4. Enfin il faut, une véritable revalorisation morale de la profession mais pas comme on vient de le faire, il y a quelques mois, en présentant dans les media un gentil docteur, juste bon pour faire de l’animation socioculturelle privée auprès d’enfants ou de vieillards scléreux. Il faut en particulier reconnaître et soutenir le rôle de la médecine générale au plan de la santé publique. En effet, de même que les éboueurs sont plus importants que les médecins pour prévenir les épidémies, les généralistes sont plus efficients que les spécialistes5 pour rajouter des années de qualité à la vie. Encore faudrait- il que les généralistes le sachent. Si les décideurs, la population et les spécialistes l’apprennent aussi, tant mieux. M. Demotte a démarré avec bonheur un « plan stratégique pour la médecine générale », dont certaines initiatives intéressantes sont sorties. Mme Onkelinx continue dans cette voie. Espérons que ces quelques réflexions trouveront leur chemin dans les méandres du pouvoir. PS. Suite aux remarques du Conseil d’état et aux exhortations de certains solistes, la ministre a également promis un Impulseo 3 à destination des généralistes solistes. Nous verrons bien ce qu’il en sera mais nous regrettons une telle utilisation de fonds publics qui risquent de ralentir la révolution culturelle dont la médecine générale a le plus grand besoin.

Documents joints

  1. Ou des tâches ancillaires de la médecine spécialisée.
  2. Soit par pénurie locale de médecins généralistes praticiens, soit parce qu’il s’agit de zones précarisées nécessitant un surplus de médecins généralistes.
  3. Saltman R.B, Rico Ana, Boerma W : Primary care in the driver’s seat ?. Mc Graw-Hill ; 2006.
  4. Et encore, les maisons de santé françaises nous démontrent que le regroupement multidisciplinaire de praticiens de santé peut être une piste de solution pour résister à la désertification en médecine rurale.
  5. Sauf les neurochirurgiens (European health care reform, OMS séries 72).

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 46 - octobre 2008

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