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Futur profil infirmier : polyvalence, coordination et publics-cibles

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Santé conjuguée n° 64 - avril 2013

L’infirmier du domicile pourrait voir son rôle changer radicalement pour englober de nouvelles fonctions. Selon les scénarios, une logique de soins de santé primaire pourrait être privilégiée ou non (par opposition à une logique hospitalocentriste) ; les soins primaires s’orienteraient vers une offre d’équipe plutôt que d’individus. Revue d’enjeux au regard du contexte international.

Tenir compte du contexte

Les caractéristiques du système de soins et la relation, particulièrement, entre médecins et infirmiers sont deux facteurs qui jouent un rôle important dans le profil adopté pour l’infirmier de première ligne. D’une part, la place des soins primaires et, plus particulièrement, la médecine de famille dans le système de soins de santé pourrait influencer le profil de l’infirmier de la première ligne. Dans des pays comme la Belgique, la prépondérance donnée à l’hôpital influence la formation infirmière (et médicale), en poussant à la surspécialisation clinique (tel qu’on le voit dans de nombreuses « pratiques avancées »), y inclus pour les infirmiers de la première ligne. Cette approche contraste avec des pays comme le Royaume-Uni, le Canada (voir encadré page 35) ou les pays scandinaves où des profils plutôt polyvalents et avec une formation solide se sont créés au cours du temps (cfr. les nurses practitioners) en plus des formations spécialisées. D’autre part, la tradition de relation médecin de famille – infirmier de première ligne varie d’un pays à l’autre. Cette relation peut être notamment influencée par la relation contractuelle entre les deux professions, la force du « lobby » infirmier au niveau national, ou l’habitude de travail en équipe pluridisciplinaire. Dans certains pays, comme en Australie ou au Royaume-Uni les médecins de famille sont les employeurs des infirmiers de première ligne. En Belgique, nombre d’infirmiers sont employés par les centres de coordination de soins à domicile (souvent liés aux mutuelles), la plupart du temps sans relation contractuelle directe avec les médecins de famille. Une exception notoire dans les relations contractuelles médecin-infirmier est constituée des maisons médicales au forfait où médecins et infirmiers peuvent être tous deux employés de la maison médicale. Par ailleurs, la force de négociation de la profession infirmière est très différente d’un pays à l’autre. La situation belge est probablement très différente de celle qui pourrait exister dans des pays comme le Canada ou les pays anglo-saxons, où l’existence d’un ordre infirmier accepté par l’ensemble de la profession permet sa représentation. Finalement, l’habitude de travailler en équipe au niveau de la première ligne, incluant médecins et infirmiers (tel qu’en Suède ou dans d’autres pays Scandinaves) est un facteur propice à faciliter les relations entre ces deux professions. Les dynamiques de changement Malgré des réalités différentes entre pays, des éléments communs poussent à un changement du profil et du rôle joué par les infirmiers au niveau de la première ligne. Premièrement, de nombreux pays font face à une menace relative de « pénurie » en médecins généralistes et en infirmiers, conjuguée à l’augmentation de la demande en soins à domicile. Dans des pays comme le Canada ou comme l’Angleterre, cette pénurie n’est pas neuve. En France ou en Belgique, la situation est plus récente. Pour les médecins, cette perception de pénurie est notamment attribuable à l’intérêt diminuant des jeunes diplômés en médecine pour la médecine générale, mais aussi à l’augmentation des besoins en soins et services à domicile dû au vieillissement et à l’épidémie potentielle de comorbidités liées à des maladies chroniques. Quant aux infirmiers, le manque d’effectif serait lié à la sortie précoce de la profession. Deuxièmement, il est indéniable que depuis plusieurs années se développe une approche positive, et pas seulement de défense corporatiste, pour développer une identité professionnelle propre à la profession infirmière. Un corpus de connaissances dans lequel la profession infirmière prend le leadership (notamment dans le domaine de la qualité des soins, etc.) est en train de progressivement émerger. C’est pour répondre à ces nouveaux rôles que des formations sont mises en place dans de nombreux pays, et strucutrées sur le modèle graduat – master – doctorat, en ce compris pour l’infirmier de première ligne.

Trois fonctions émergentes

Trois types de nouvelles fonctions pour l’infirmier de la première ligne tendent à émerger aujourd’hui : une fonction clinique polyvalente, une fonction de coordination et d’organisation de soins, et des fonctions plus spécialisées ciblant des groupes cibles spécifiques. Les Nurses practitioners sont des fonctions qui se sont développées notamment au Canada, en Australie ou dans une moindre mesure au Royaume-Uni. Il s’agit de professionnels polyvalents qui, souvent, suppléent la pénurie en médecins de famille. Les gestionnaires de cas (case managers) sont des fonctions qui ont pour rôle d’identifier les besoins, de planifier les soins, de les coordonner et les évaluer pour répondre au mieux aux besoins et demandes de personnes fragiles, en perte d’autonomie, ou nécessitant des intervenants multiples. Ce type de fonction est souvent, mais pas toujours, rempli par des profils infirmiers et se développe partout en Europe, en Amérique du Nord ou en Australie. Enfin, différents profils d’infirmiers se développent pour prendre en charge ou organiser la prise en charge des groupes spécifiques (santé affective et sexuelle des adolescents, soins aux personnes sans domicile fixe, etc.). Le développement de ces nouveaux rôles est implicitement ou explicitement lié à des choix ou prises de positions quant aux soins, la formation requise au travail en équipe pluridisciplinaire, ou au rôle de partenaire ou steward.

« Care » versus « cure » ?

Traditionnellement, la profession infirmière a toujours joué un rôle important dans les soins globaux d’une personne et de sa famille plutôt que la recherche de diagnostic et le traitement d’une maladie. Ce rôle reste d’autant plus indispensable dans le contexte social, démographique et épidémiologique en devenir. Le développement de nouveaux rôles et de nouvelles fonctions doit tenir compte de cela. Une tension pourrait en effet exister entre la capacité à offrir des soins et le développement de professions infirmières dans lesquelles des tâches plus « techniques » (telle la gestion de l’information, rôle plus important dans le diagnostic et traitement, etc.) prennent plus d’importance. S’ajoute à cela le fait que les infirmiers de la première ligne veulent réaliser des soins directs, telles que les « toilettes » des personnes, qui sont alors des opportunités de meilleure compréhension des besoins et demandes des personnes. Laboratoire de pratiques collaboratives La fonction de gestionnaire de cas, ou celle de prise en charge de population spécifique se développe souvent au sein d’équipes de soins. Au sein de celles-ci, on pourrait considérer l’évolution de la relation entre médecin généraliste et infirmier de première ligne comme un « laboratoire » des futures relations à construire entre professionnels de la première ligne. Même si des modalités de réelles pratiques collaboratives existent au sein des maisons médicales, la majorité des relations interprofessionnelles se font sur un mode « pyramidal » (le médecin qui délègue une série d’activités à d’autres professionnels). Des facteurs qui pourraient permettre un nouvel équilibre dans les relations entre médecins et infirmiers incluent la formation (avec des espaces d’échanges entre étudiants de différentes disciplines) ou l’utilisation d’outils d’information multidisciplinaire (dossiers partagés entre différentes professions). Le rôle de « partenaire » ou de « steward » Classiquement, le médecin de famille se voit attribuer le rôle de « traducteur » et de « steward » des patients, pour que ces derniers comprennent mieux ce qui leur arrive quand ils reçoivent des soins et soient mieux à même de décider au sein du système de soins. Néanmoins, le manque de disponibilité et, parfois, la formation trop biomédicale empêchent le médecin de jouer ce rôle. Le développement d’une nouvelle fonction pour les infirmiers de la première ligne serait une occasion de mieux définir ce rôle indispensable à une meilleure participation des patients et citoyens à la décision.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 64 - avril 2013

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