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Enquête de satisfaction des patients au sortir des consultations de médecine générale


Santé conjuguée n° 39 - janvier 2007

La satisfaction des patients (comme celle des soignants) fait partie des critères de qualité pour les soins de santé primaires.

Au cours du temps, plusieurs types d’évaluation de la satisfaction des patients ont vu le jour, plus ou moins structurées et fiables, en Belgique comme à l’étranger et en maison médicale comme dans d’autres structures (notamment les hôpitaux). Mentionnons pour mémoire :
– appréciations tout à fait subjectives de la satisfaction, du type : les patients sont satisfaits puisqu’ils continuent à venir me consulter, émises du côté des intervenants ;
– appréciations tout aussi subjectives par interrogatoire de patients, de manière non formalisée et non codifiée, non validée ;
– boîte à suggestions en salle d’attente ou à l’accueil ;
– enquêtes de satisfaction de type « sondage », tout public ;
– enquêtes de satisfaction ciblées sur des patientèles spécifiques, par questionnaire écrit ou par intervieweur ;
– etc.
Outre le caractère éminemment subjectif de certaines de ces démarches, le problème de la comparaison entre divers types d’évaluation se pose évidemment, sans compter que pour un même type d’évaluation on a, au cours du temps et en divers lieux, utilisé des échelles différentes.
Un des gros problèmes des enquêtes trop subjectives (de la part des enquêteurs ou des intervenants) ou trop peu formalisées, est que les conclusions qu’on peut en tirer permettent rarement de proposer des changements effectifs et évaluables. En effet d’une part on ne peut pas espérer de résultats, de conclusions ou de perspectives structurés venant d’une procédure qui ne l’est pas elle-même, d’autre part ceci empêche d’évaluer correctement l’évolution et les changements au cours du temps, par manque de reproductibilité et de systématisation. La maison médicale à Forest, qui fonctionne depuis 1986 au forfait à l’abonnement, donc avec une population inscrite et déterminée, a constamment été sensible à l’appréciation par les patients des services qui leur étaient procurés.
Par exemple en 1998, un travail d’évaluation de la satisfaction globale de la part des patients a été conduit par la technique des « focus groupes » avec l’apport d’animateurs extérieurs (via la Fédération des maisons médicales).
L’année suivante, une enquête de satisfaction concernant le journal Info Santé1a été menée, sous forme de questionnaires administrés en salle d’attente par un étudiant en communication, qui a fait de cette procédure un sujet de travail de fin d’études.
Plusieurs fois au cours du temps des appels à suggestions, concernant divers aspects de nos activités préventives ou nos modes de communication avec les patients, ont été faits.
En 2004, une démarche avait été entamée avec des groupes de patients diabétiques, ayant pour but, entre autres, d’obtenir une appréciation quant à la manière dont leur problème était pris en charge à la maison médicale2. La volonté de développer une dispensation des soins qui rencontre un maximum de critères de qualité, reste un souci constant à la maison médicale. C’est pourquoi une nouvelle procédure a été proposée.
Elle concerne l’évaluation de la satisfaction des patients au sortir d’une consultation chez un médecin généraliste à la maison médicale. Cette proposition, qui peut paraître restrictive, vient de plusieurs constats et opportunités :
– la maison médicale est une grande équipe, elle propose un nombre important de services et d’activités différents : une évaluation globale de la satisfaction et de la qualité s’avère plus difficile, dans une perspective de changement et d’amélioration ;
– le nombre de patients pris en charge est très grand et impose un travail par échantillonnage ;
il existe, dans la littérature spécialisée, des questionnaires validés et reconnus concernant la perception par le public de la qualité des soins et, surtout, concernant le degré de satisfaction des usagers en rapport avec les soins de médecine générale, que ce soit de manière locale ou sur le plan du système de santé en général ;
– à l’étranger notamment, des types d’enquêtes similaires ont été conduits avec succès et validés à la fois sur le plan de la méthodologie et des résultats. La perspective adoptée a donc été de conduire une démarche d’évaluation de la satisfaction des patients, de le faire selon une méthodologie déjà validée ailleurs, de manière focalisée sur les consultations de médecine générale, par questionnaire.
Ceci ne constituerait qu’une première étape : si la démarche aboutit (ce qui veut dire : réalisable, acceptée par les membres de l’équipe, acceptée par les patients et donnant des résultats exploitables), on peut alors envisager de l’étendre aux autres secteurs de soins, voire à d’autres types d’activités développées par la maison médicale. Il s’agit donc bien d’un processus mixte : réaliser une enquête de satisfaction sur la qualité d’un aspect du service dispensé par la maison médicale en même temps que tester cette procédure dans une optique d’extension voire de généralisation ultérieure. Tout cela n’a de sens que s’il existe une volonté d’évolution, d’adaptation ou de transformation plus ou moins profonde de la manière d’être et d’agir avec les patients dans les soins qui leur sont procurés.
Cette volonté est présente à la maison médicale, au-delà des résistances naturelles et inhérentes à la fois aux personnes et au système de soins développé.

Méthodologie


La réalisation d’une enquête de satisfaction sur certains aspects de la pratique a été discutée avec les médecins généralistes de la maison médicale, d’abord dans son principe puis dans sa concrétisation. La démarche a reçu l’approbation et l’intérêt de tous ainsi que le soutien du reste de l’équipe.
Un questionnaire d’enquête a été élaboré, essentiellement à partir des deux sources suivantes :
– Consultation Satisfaction Questionnaire (Consultation Specific Questionnaire, CSQ) of Baker for General Practice, 2001 (The Medical Algorithms Project, Institute for Algorithmic Medicine, Houston, TX, USA).
– Patients evaluate general/family practice, The Europep instrument, 2000 (R. Grol & M. Wensing, Europep Group, The Task Force on Patient Evaluations of General Practice Care).
Une première version du questionnaire a été examinée au sein du secteur médecins à la maison médicale en 2005. Quelques remarques ont été émises, notamment pour inclure deux items supplémentaires (sur le fait que les patients se sentent ou non enclins à donner leur avis sur les traitements et les examens proposés).
Un commentaire sur le questionnaire a également été demandé auprès des membres du groupe « Assurance de qualité » à la Fédération des maisons médicales. Ceci a conduit à ajouter un item sur la prévention.
La version définitive du questionnaire a été revue en secteur médecins, qui l’a cautionnée (mars 2006). Cette version reste très proche, dans son esprit comme dans sa formulation, des questionnaires validés qui ont servi de base à sa réalisation, de telle manière que l’on peut considérer ce questionnaire comme également valide. Le questionnaire définitif comporte 22 questions. Chaque réponse est encodée selon cinq appréciations : tout à fait d’accord, d’accord, neutre, pas d’accord, pas du tout d’accord, converties en un chiffre allant de 5 (meilleur score = la meilleure qualité) à 1 (le moins bon = la moins bonne qualité).
Les 22 questions peuvent être également regroupées en quatre catégories : satisfaction générale, satisfaction pour l’aspect professionnel (l’aspect médico-technique n’est pas abordé), pour l’aspect relationnel, pour la perception du temps accordé.
Quelques questions sont volontairement ’redondantes’, centrées sur un même élément (par exemple la sensation d’avoir pu passer assez de temps avec le médecin) mais posées de manière inverse (une négation, une affirmation) pour permettre une appréciation plus fine et nuancée. L’administration du questionnaire a été réalisée par une étudiante, extérieure à la maison médicale, qui ne connaissait ni l’équipe ni les patients. Cette personne a été vue lors d’un entretien préalable, pour mise au courant de la démarche et pour recevoir les instructions concrètes pour le bon déroulement de l’enquête.
Les patients ont été interrogés directement au sortir d’une consultation avec un généraliste, sur demande de l’intervieweur, chacun étant libre d’accepter ou de refuser. L’interview se déroulait dans un local à part, pour garantir la confidentialité.
Afin d’atteindre un bon degré de fiabilité tout en restant réaliste par rapport aux moyens et au temps, à la disponibilité des patients comme des locaux, on s’est fixé pour but de disposer d’au moins cent questionnaires remplis.
L’échantillon de patients a été constitué au hasard de la fréquentation des consultations : dès l’arrivée de l’intervieweur sur place, elle a sollicité les patients au fur et à mesure du déroulement des consultations, sans tri préalable, notamment par rapport au sexe, à la culture ou à l’origine, au médecin consulté. Pour ce qui est de l’âge, les plus jeunes patients qui ont été sollicités ont 14 ans3. Un autre facteur de sélection a été la langue : seuls des patients capables de comprendre et de s’exprimer un minimum en français ont participé.
Un double anonymat a été garanti : celui des patients et celui du médecin qui les avait vus en consultation. La durée moyenne des interviews a été d’environ dix minutes. Bien que la maison médicale fonctionne sur deux sites, il n’a été possible d’interviewer les patients qu’à Saint-Denis, par manque de disponibilité de locaux sur Saint Antoine.

Résultats


102 questionnaires ont été administrés, sur sept jours (quatre en juillet, trois en août), ce qui donne une moyenne de 14,5 questionnaires par jour.
Pour la même période, le nombre moyen de consultations en médecine générale à la maison médicale (site Saint-Denis) a été de 45 par jour.
Le taux de réponse a donc été de presque un questionnaire pour trois patients étant venus à la maison médicale pendant les jours concernés. La moyenne d’âge des répondants est de 43,23 ans. Elle est nettement supérieure à la moyenne d’âge de la patientèle générale à Saint-Denis (32,4 ans), cependant nous savons que l’âge moyen de la population consultante est supérieur à celui de la population générale. La figure 1 illustre les différences entre population suivie, population consultante pendant la période de l’enquête et population répondant au questionnaire. Alors que cette répartition est relativement homogène entre la population inscrite et la population consultante, nous constatons une différence nette en ce qui concerne la population ayant répondu au questionnaire : 65,7% de femmes (34,3% d’hommes) dans l’échantillon des personnes interrogées contre, respectivement, 52,3% et 47,7% dans la population suivie à Saint-Denis.
Les deux sous-populations ont des moyennes d’âge différentes : les femmes, presque deux fois plus nombreuses que les hommes, ont un âge moyen nettement plus bas (40,07 ans contre 48,09 ans pour les hommes). Le tableau montre les taux moyens.
a moyenne pour la satisfaction générale 13,93 sur 15 92,9%
b moyenne pour les soins (aspect professionnel) 22,97 sur 2 91,9%
c moyenne pour l’aspect relationnel 47,43 sur 55 86,2%
d moyenne pour la perception du temps accordé 11,78 sur 15 78,5%
Moyenne globale 96,32 sur 110 87,6%
nombre moyen d’items avec la cote minimale 1,12 sur 22 5,1%
nombre moyen d’items avec la cote maximale 15,98 sur 22 72,6%
Le pourcentage moyen global de satisfaction est de 87,6%. En ce qui concerne les catégories, les meilleurs scores moyens sont observés pour la satisfaction générale (92,9%) et l’aspect professionnel, le moins bon score moyen étant attribué aux questions concernant le temps accordé ou passé avec le médecin (78,5%).
Si nous examinons chacune des vingt-deux questions de manière détaillée, nous voyons que la moyenne la plus basse est attribuée à la question numéro 14 : « le médecin sait tout de moi ». La question qui reçoit le plus haut degré de satisfaction en moyenne est la question 10 : « je pense que le médecin m’a considéré comme une personne ». 72,6% des réponses montrent une cote maximale (5/5) alors que 5,1% se voient attribuer la cote minimale (1/5). 22,3% des réponses ont reçu une cote intermédiaire (2, 3 ou 4 / 5).Pour les vingt-deux questions, la cote la plus fréquemment attribuée est 5/54.

Discussion, commentaires


La procédure d’enquête de satisfaction menée a été favorablement accueillie par les médecins de l’équipe et par les patients.
Sur ce point, le critère de faisabilité est donc rencontré. On sait que l’adhésion des intervenants de santé est primordiale dans toute action entreprise, dans le domaine du développement de la qualité des soins en particulier. Ceci est vrai en ce qui concerne les processus eux-mêmes mais aussi et surtout par rapport aux changements qu’ils pourraient induire ou entraîner. Il est évident que toute démarche en amélioration de qualité n’est envisageable que si les intervenants (professionnels comme patients) sont réceptifs (sinon favorables) à l’idée de changement.
Cette dynamique est globalement rencontrée à la maison médicale, en particulier parmi les médecins. Les résistances à ce niveau, naturelles chez les individus comme dans les groupes, sont en grande partie vulnérables.
Par ailleurs le désir est manifeste de savoir ce que pensent les patients de notre travail, au-delà de ce que nous pouvons percevoir subjectivement au fil des consultations, des échanges entre nous, des sentiments de valorisation ou de frustration qui sont le lot du quotidien dans toute relation d’aide et de service.
Pour ce qui est des patients, la faisabilité d’une telle enquête est également indiscutable. D’après les commentaires recueillis auprès de l’intervieweur, les patients en général non seulement acceptent volontiers de répondre mais semblent même heureux, pour beaucoup d’entre eux, de cette initiative. Objectivement, avoir pu interviewer presque un patient sur trois étant venus en consultation pendant les heures de présence de l’intervieweur, est assez remarquable en soi et indique un taux élevé d’acceptabilité par les patients.

Un taux de satisfaction élevé, trop pour être vrai ?

L’appréciation globale de la part des patients est bonne, voire très bonne (87,6%). Les scores atteints, dans l’échelle employée, sont souvent remarquables.
Il y a manifestement un bon degré de contentement de la part de nos patients, en tout cas dans les axes de travail explorés par le questionnaire. Ce degré est variable en fonction des questions et des groupes de questions, ce qui est un indicateur de tendance. Le haut taux général de satisfaction atteint pose plusieurs questions, notamment celle des biais possibles, qui sera abordée plus loin. Cela a aussi surpris les médecins lorsque les résultats de cette enquête leur ont été présentés : c’est trop bon – c’est trop beau pour être vrai – il y a des biais – les patients veulent nous faire plaisir – ils n’osent pas – etc. Cette interrogation est légitime. Elle témoigne en tout cas d’un désir de savoir vraiment ce que les patients pensent, au-delà de l’envie d’être perçu comme « un bon médecin ». Peut-être également est-ce le fait d’une certaine insécurité concernant notre propre image, notre propre travail, la qualité de ce que nous faisons. Peut-être est-ce, tout simplement, la tendance à s’attendre au pire pour récolter le meilleur… Probablement est-ce tout cela à la fois, ce qu’il est intéressant de retenir ici est la volonté de se confronter à la critique des patients, perçue comme constructive et comme un moyen, parmi d’autres, de progresser.
Quoi qu’il en soit, le degré de satisfaction des patients à l’égard du travail en consultation de médecine générale est bon, même s’il est plus ou moins surestimé. Les biais possibles doivent être évoqués, comme on l’a déjà dit. Lors de la présentation des résultats aux médecins généralistes, ceux-ci ont mentionné qu’un biais possible pouvait être le fait qu’eux-mêmes étaient au courant de l’enquête au moment où elle se déroulait. Il est donc possible qu’il y ait eu, de manière consciente ou non, une adaptation de l’attitude des médecins face à leur patients pendant les jours où l’enquête a été effectuée. Il est difficile de mesurer l’influence que cela pu avoir sur les réponses des patients interrogés et, par conséquent, l’ampleur du biais potentiel5. En été, la fréquentation des consultations est plus faible, il peut donc y avoir un décalage entre la population interrogée et la population générale suivie à la maison médicale. En ce sens, le choix de la période, en faisant que la population concernée par l’enquête n’est pas représentative, ferait que les résultats obtenus ne sont pas généralisables ou valides. Cette remarque est en partie fondée puisque, on l’a vu, le profil de la population interrogée n’est pas homogène avec la population consultante, encore moins avec la population totale suivie (répartition par sexe, statistiquement significative, et par âge, non statistiquement significative mais indiquant une tendance). Cependant les avis donnés lors des interviews sont des avis légitimes, d’une partie des patients inscrits ; à ce titre, ils doivent être entendus et pris en compte. Le biais, pour autant qu’il soit important, concerne la représentativité de l’échantillon, pas le contenu de ce qu’il amène dans ses réponses.
On peut faire les mêmes remarques en ce qui concerne la taille de l’échantillon. Cette taille est un compromis entre la nécessité d’avoir un nombre minimum de questionnaires et la faisabilité de l’enquête, compte tenu des impératifs organisationnels et logistiques. Le fait de réaliser les interviews au sortir des consultations peut apparaître comme un biais. Mais en fait, c’est l’objet de la procédure même de l’enquête, en fonction des références ayant servi de base ; c’est donc l’objet lui-même qui a des limites. Interroger des patients avant une consultation induirait des biais aussi importants mais sans doute différents. Interviewer des patients à distance des consultations, par exemple à domicile, se heurte à d’autres difficultés, à la fois dans la réalisation et dans l’interprétation des résultats.
Réaliser des interviews en direct peut comporter des biais, mais probablement beaucoup moins qu’une enquête écrite, se confrontant aux problèmes de langage et de l’utilisation de l’écrit.
Avoir proposé un(e) intervieweur féminin peut éventuellement avoir influencé certains répondants. Mettre un homme aurait engendré le même genre de remarque…
Enfin, les interviews se sont déroulées en français, ce qui peut constituer en soi un biais de sélection.
Au total, la démarche, dans sa conception comme dans sa concrétisation, comporte certainement quelques biais. Il est cependant difficile à ce stade de tous les dépister, de déterminer leur importance relative et de voir en quel sens ils auraient pu influencer les répondants et les réponses.
Quoi qu’il en soit, il ne semble pas que les biais invoqués plus haut soient de nature à invalider entièrement le processus.

Connaître le patient… jusqu’où ?

Le questionnaire lui-même comporte, à notre sens, une faiblesse majeure, au vu des résultats mais aussi à examiner « à distance » certaines formulations.
Dans les items « relationnels », il en est deux dont la formulation est très tranchée, à la manière anglo-saxonne, américaine : il s’agit des questions 8 (il y a plusieurs choses que le médecin ne sait pas à mon sujet) et 14 (le médecin sait tout de moi).
Il existe manifestement des différences de sensibilité à notre niveau européen et latin (beaucoup plus individualistes chez nous, sentiment intrusif et/ou parano plus développé, selon la manière dont nous voyons les choses). On peut bien entendu considérer que le fait de connaître un maximum de choses sur son patient est un témoin de la bonne relation qu’on a avec lui. Mais il reste en fait à démontrer que tout connaître entre dans le cadre d’une bonne relation et même, au-delà, d’une bonne qualité de la prise en charge. On considérera de manière tout aussi légitime que respecter les jardins secrets des ses patients constitue bien mieux un indice de qualité de la relation thérapeutique.
Ce qui est certain, c’est que le caractère tranché, absolu de ces questions a certainement pu être mal ressenti, ou mal perçu, par les répondants. Notre culture ambiante s’accommode mal du ton et du caractère radical employé. Ce n’est certainement pas un hasard si ces deux questions récoltent les deux plus mauvais scores de tout le questionnaire !
Dans une enquête ultérieure, il faudra penser à remanier la formulation de ces questions, dont le champ exploré reste intéressant.
Remarquons par ailleurs que malgré les deux questions mentionnées et leurs scores relativement moins bons, la moyenne des items « relationnels » est très favorable.

Le temps et la perception du temps

De manière surprenante ou non, c’est la perception du temps passé avec le médecin qui rencontre le moins bon degré de satisfaction. Ce fait est intéressant à plus d’un titre.
La qualité d’une relation est en grande partie basée sur le temps passé à l’établir et à l’entretenir. Le temps fait partie du cadre thérapeutique, avec le lieu, les attitudes du soignant, etc. Parler et écouter prend du temps. Le cadre permet aussi au non verbal de s’exprimer et d’être perçu. Manifestement, les patients sont à la fois très sensible à cet aspect des choses et assez critiques.
Rappelons ici que la perception du temps est éminemment subjective. Selon le contenu d’un entretien, la manière dont il est conduit, les attitudes des personnes, une même durée objective (par exemple vingt minutes) peut paraître courte, trop courte, ou au contraire trop longue.
La gestion du temps est une dimension importante du travail du soignant, qui est pris entre le désir de passer du temps avec le patient, de donner un espace suffisant à la parole et à l’écoute, à l’examen physique, à la lecture et l’interprétation des résultats récoltés, pour ne citer que cela, et la nécessité de voir un certain nombre de patients, de répartir l’activité entre les dispensateurs de manière solidaire et de rester équitable dans le temps accordé à tous les patients.
Cette question a déjà été travaillée à la maison médicale antérieurement. D’une part certains ont suivi des formations à la gestion du temps. D’autre part, des discussions ont eu lieu, historiquement, pour fixer la durée moyenne des consultations, dans une perspective de gestion globale des activités, d’établir un planning de rendez-vous et de visites et de qualité des soins.
La durée moyenne des consultations de médecine générale a été déterminée, dans cette optique, à vingt minutes dans notre maison médicale6. On doit certes se poser la question de savoir si cette durée est adéquate et opportune, surtout en regard de ce que perçoivent un certain nombre de patients (la majorité se déclarant satisfaite, rappelons-le).
On doit aussi s’interroger sur la manière dont le temps déterminé est géré, sur ce que nous générons comme sentiment chez nos patients à cet égard, sur le contenu de nos entretiens et la manière dont ils sont organisés. Car il est possible, sinon probable, que ce soit réellement la perception du temps accordé, plus que le temps effectivement passé, qui soit en jeu ici.
De toute manière il est intéressant d’y passer un certain « temps », justement, en secteur médecins, car cela touche à la manière de conduire nos entretiens, nos consultations et, au-delà, à notre manière de travailler. On ne peut qu’évoluer et progresser à se confronter à ce genre de remise en question et de discussion.

Ambiguïtés du « relationnel »

Les questions qui donnent les meilleurs indices de satisfactions (> 95%) concernent, respectivement, le fait de considérer les patients comme des personnes, de donner les explications suffisantes, d’examiner les gens consciencieusement et le respect de la confidentialité.
Ce sont là des axes fondamentaux du travail de médecin, il est heureux que les patients en soient globalement très satisfaits. Ces aspects professionnels et relationnels sont valorisés, ce sont des bases solides sur lesquelles s’appuyer pour s’améliorer et qui doivent certainement rester l’objet d’une attention constante. Le nombre très important de cotations extrêmes (5/5 et 1/5) est plus difficile à apprécier. De très loin, le 5/5 est la note la plus fréquemment attribuée, pour les vingt-deux questions. Au-delà du fait que cela indique, ici aussi, un haut degré de satisfaction, on peut y voir une manière peut-être assez absolue de répondre, sans trop de nuances. C’est éventuellement une autre faiblesse de la démarche, liée soit au questionnaire soit à la procédure elle-même : les patients interrogés seraient peu enclins à nuancer leur propos, à distinguer les subtilités, les gradations dans les réponses possibles. Signalons ici que la personne qui a interviewé les patients a été sensibilisée à cet égard, lors de l’entretien préalable mais aussi pendant l’enquête, afin d’obtenir le plus de nuances possibles dans les réponses.
Le nombre de réponses « tranchées » (5/5 ou 1/5) est un peu plus élevé chez les femmes. Vu la taille de l’échantillon, ce n’est pas statistiquement significatif. De même, on ne peut faire de corrélation entre ce nombre de positions « extrêmes » et l’âge des répondants.

Différences de génération ?

Par contre, il y a une différence significative en ce qui concerne la relation entre l’âge et le degré global de satisfaction : les patients plus âgés (>60 ans) montrent un taux de satisfaction nettement plus important. Il y a plusieurs explications à cela et on ne saurait être exhaustif ici.
Il est probable que dans la population âgée, l’image du médecin, de ce qu’il représente, soit héritière d’un passé où les praticiens étaient perçus de façon certes paternaliste, comme assez autoritaires et détenteurs d’un savoir réservé, mais aussi considérés comme savants au bon sens du terme, bienveillants et estimés avec un respect plus grand que celui manifesté actuellement. En ce sens, « Le Médecin » resterait quelqu’un d’important sur qui on peut compter, qui sait beaucoup de choses et qui apporte « le bien » ; il est donc logique que l’a priori, dans une enquête de satisfaction, soit nettement favorable, au détriment de perceptions ou constatations plus objectives ou simplement moins aveugles, plus nuancées.
A contrario, on pourrait ici examiner l’envers : les patients plus jeunes seraient plus critiques, moins vite contents. On pourrait les estimer aussi plus exigeants. En forçant le trait, on pourrait aussi considérer que la contestation de l’ordre médical fait partie, pour les plus jeunes (surtout les moins de quarante ans), d’une contestation plus générale, de la société et de ceux qui en détiennent un certain pouvoir (dont les médecins, comme chacun sait…).
Il serait intéressant en tout cas, en discussion plus large, de commenter cette différence entre patients âgés et jeunes dans le degré de satisfaction.
Le fait que les patients âgés semblent plus satisfaits est, de toute manière, intéressant à noter pour une équipe soignante travaillant au forfait. En effet on a souligné à plusieurs reprises, à la Fédération des maisons médicales, que les histogrammes d’âge des populations abonnées au forfait étaient décalés vers la gauche (profil plus « jeune ») par rapport à la population générale ; ceci a conduit à s’interroger sur l’éventualité que le forfait n’attirait pas les personnes âgées, que ce n’était pas un système dans lequel elles se retrouvaient avec bonheur. Certains ont même parlé de contre-sélection. Notre enquête ne contredit pas formellement ce fait (les patients âgés inscrits au forfait pourraient être des « inconditionnels » du système, pour caricaturer), mais cela nous entraîne à nuancer les affirmations ou interrogations évoquées.

Quelles suites donner à cette enquête ?


Un premier pas est de travailler de manière plus approfondie, en secteur médecins à la maison médicale, les résultats et enseignements de cette enquête. Tout n’est pas encore dit et surtout, il est très productif de revoir cela en groupe, car la démarche même est formative, riche de conséquences en matière de dynamique de progrès. Une telle enquête constitue un élément remarquable dans le soutien au développement des aptitudes professionnelles et relationnelles, que ce soit sur le plan individuel ou collectif, non seulement par les résultats qu’elle produit mais par le fait même de son existence. Par exemple le très bon taux de satisfaction décrit par les patients interrogés doit certainement constituer un moteur puissant pour continuer à progresser, en s’appuyant sur une pratique actuelle qui apparaît manifestement de bonne qualité.
Plus particulièrement ici, il sera utile de reprendre, en secteur, la question de la gestion du temps avec les patients, dans ses aspects objectifs comme subjectifs ou informels. Si l’on se place au niveau de la maison médicale globalement, un travail en commun autour de ce qui est révélé dans les interviews serait également et sans aucun doute productif, dans la mesure où la structure dans son ensemble est à la fois concernée, bienveillante et favorable au développement de ses membres dans leurs compétences et qu’il existe une dynamique générale de formation continue. La réalisation d’une enquête de satisfaction à propos d’autres secteurs professionnels que les médecins généralistes, ou à propos d’autres types d’activité, est certainement à favoriser, dans la même perspective.
Concernant le secteur médecine générale, il serait utile de refaire ce genre d’enquête, à la fois pour suivre au cours du temps les indices de satisfaction et pour préciser certains points ou explorer d’autres dimensions de la qualité, le cas échéant.
Il faudra donc envisager de reprendre ce questionnaire et de l’adapter, car tout ne peut être transposé sans une élaboration complémentaire. Cela sera nécessaire tant pour continuer la démarche au sujet de l’activité des médecins généralistes que pour l’étendre à d’autres secteurs ou à certains programmes entrepris7. On ne saurait trop insister sur l’intérêt qu’il y a à répéter des enquêtes de satisfaction au cours du temps, sur des aspects bien précis de l’activité. Ceci est indispensable pour disposer d’un « monitoring » plus ou moins continu de la qualité des soins. Par ailleurs c’est un outil parmi d’autres pour augmenter la participation des patients à l’évaluation de ce que nous faisons. Comme la chose est faisable sans trop de difficultés et qu’elle est bien reçue des patients comme des soignants, on aurait tort de se priver… Une autre étape nous semble de faire connaître la démarche, de la diffuser plus généralement à la Fédération des maisons médicales et au dehors. En effet le nombre d’enquêtes de satisfaction des patients reste limité alors qu’il s’agit d’une approche très importante sur le plan de la qualité des soins, comme au niveau de la gestion de nos micro-systèmes de santé que constituent les maisons médicales.
Il est important de faire savoir que ce genre d’enquête est possible, favorablement accueilli tant par les patients que par les soignants. Il est bon aussi de transmettre qu’il existe des procédures fiables, validées, que cela donne des renseignements utiles sur certains aspects de nos pratiques, que cela permet d’en travailler des points (plus) faibles. Pour la réalisation d’enquêtes ultérieures, il sera important de consulter un comité d’éthique afin de faire valider la démarche sur ce plan, ceci d’autant plus que les patients seront amenés à être sollicités de plus en plus souvent pour divers aspects de nos pratiques et que ces démarches pourront avoir une influence plus ou moins grande sur le mode d’organisation des soins, sur la qualité de ceux-ci, sur les interactions patients–soignants, pour ne mentionner que ces axes fondamentaux. Enfin il faut considérer qu’une enquête de ce type, étendue à d’autres secteurs d’activité, généralisée à d’autres maisons médicales ou à d’autres types de dispensation de soins de santé primaires, fait elle-même partie d’un ensemble de démarches visant à intégrer l’avis des patients au sujet du système de soins et leur participation dans la gestion de celui-ci.
La satisfaction des patients comme celle des soignants faisant partie des critères de qualité des soins de santé primaires, le développement d’un ensemble de processus mettant en relation plus étroite et constructive les professionnels et les personnes dont ils s’occupent, ne pourra que concourir à l’amélioration de la qualité des soins.

Documents joints

  1. Info Santé est un journal d’information et de promotion à la santé, édité depuis 1980 par la maison médicale à destination de ses patients et partenaires ; sa parution est trimestrielle.
  2. Pour diverses raisons liées à la dynamique même des groupes, ce dernier aspect n’a en fait pu être abordé que partiellement.
  3. Nous avons bien entendu considéré que les patients interrogés devaient être capables de répondre de manière autonome aux questions, en dehors de la présence de quelqu’un d’autre, notamment d’un adulte ou d’un parent.
  4. En termes de statistiques, il s’agit du mode de la distribution (valeur la plus fréquemment rencontrée).
  5. Il s’agit là d’un « problème » typique dans la recherche-action : entamer une procédure d’amélioration de la qualité, développer une évaluation de cette qualité, ces procédures par elles-mêmes induisent une modification des comportements, plus ou moins importante, non seulement parce que les acteurs sont au courant de la procédure mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’ils sont participants sinon initiateurs du processus même de développement de la qualité. Mais est-ce bien un problème, ou plutôt un effet positif sinon désiré de la recherche-action ou de la procédure d’évaluation ?
  6. Cette durée peut paraître arbitraire ; elle est le fruit non seulement d’un consensus interne mais aussi de constatations faites à l’extérieur. Vingt minutes semblent la durée la plus fréquemment rencontrée dans les consultations en Belgique, que ce soit en médecine générale ou spécialisée, travail de psychothérapie ou actes techniques spéciaux mis à part. Au Royaume-Uni, un généraliste dans une grande agglomération voit, le plus souvent, plus de six patients à l’heure, parfois plus de dix… En Suisse, le paiement d’une consultation est basé sur le temps qu’elle prend, par tranches de cinq minutes au-delà de dix minutes de base…
  7. On pense ici bien entendu, entre autres, à divers programmes d’éducation ou de promotion à la santé, de suivi des maladies chroniques ou à des activités communautaires.

Cet article est paru dans la revue:

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- Cuvelier Lawrence

Du religieux au médical en Occident

Dans sa Généalogie de la morale, Nietzsche dit que les dieux ont été inventés pour donner un sens au non-sens scandaleux de la souffrance. Le rapport entre maladie et salut apparaît en effet lorsque se pose(…)

- Dr Axel Hoffman

Ethique médicale, pouvoir religieux, pouvoir étatique

Comment situer la place de l’éthique médicale entre les exigences d’un pouvoir juridique et des préceptes philosophiques voire religieux ?

- Nollevaux Marc

Les pages 'actualités' du n° 39

Enquête de satisfaction des patients au sortir des consultations de médecine générale

La satisfaction des patients (comme celle des soignants) fait partie des critères de qualité pour les soins de santé primaires. Au cours du temps, plusieurs types d’évaluation de la satisfaction des patients ont vu le jour,(…)

- Dr Daniel Burdet

Vers une Université Ouverte en Santé

En 1981, Monique Vandormael a publié dans les Cahiers du GERM un travail relevant les deux obstacles majeurs au développement des soins de santé primaires : le mode de financement à l’acte et la formation des(…)

- Dubois Bénédicte

Vivre clandestines

Parmi les débats qui agitent de manière quasi permanente nos sociétés, il en est un qui ne laisse aucun répit, celui de « la question des personnes sans papiers ». C’est-à-dire des personnes venues d’ailleurs et(…)

- Collectif Femmes en noir contre les centres fermés et les expulsions

Un nouveau statut « OMNIO » pour élargir la couverture en soins de santé

Dans le cadre d’une volonté exprimée d’ « améliorer la protection des patients », le ministre des Affaires sociales, Rudy Demotte, a la volonté de créer, dans le cadre de l’assurance maladie, un nouveau statut «(…)

- Dr Pierre Drielsma, Isabelle Heymans

L’alcool, drogue oubliée…

Le rapport 2005 sur l’usage de drogues en Communauté française est une mine de précieux renseignements. Il développe en particulier une problématique passée à tort au second plan des préoccupations depuis l’explosion des drogues dures et(…)

- Flament Marianne, Rwubusisi Miguel

Des outils conceptuels et méthodologiques pour la médecine générale: thèse de Michel Roland

En plus des trente ans de pratique de la médecine générale, Michel Roland a exploré tous les aspects de son art. Le scientifique a ainsi développé une réflexion pointue sur la médecine, il en a débusqué(…)

- Dr Axel Hoffman