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C’est costaud, le territoire en Wallonie Picarde


Santé conjuguée n° 56 - avril 2011

Construits autour des piliers traditionnels (socialiste, chrétien et libéral), les soins de santé ont longtemps fonctionné dans une logique de concurrence, que ce soit au niveau hospitalier ou ambulatoire. Mais depuis près d’un quart de siècle, on voit émerger des initiatives de collaboration et d’intégration et ce mouvement semble s’accélérer. Cette évolution est souhaitable car elle ouvre de vastes perspectives d’amélioration du service rendu aux usagers. Elle est aussi inévitable si l’on veut faire face aux défis que constituent le vieillissement de la population et l’inflation des coûts de la santé.

CECOSTO, c’est le nom sympathique du Centre intégré de coordination des soins de première ligne et de l’aide à domicile du Tournaisis, situé en Hainaut occidental, aujourd’hui rebaptisé « Wallonie picarde ». Un territoire relativement étendu, puisqu’il va de Comines à Ath à l’Est, et touche au Borinage au sud. Le CECOSTO est un service de soins intégrés à domicile (SISD), créé en 2001 dans le cadre des nouvelles législations relatives à la structuration de la première ligne initiée par les ministres de la Santé du fédéral et des régions. Retour sur l’histoire pour tenter de comprendre comment s’est construite cette structuration, pour le moins complexe, au fil du temps. Tout commence en 1986/1987, quand le ministre de la Santé de la Communauté française met sur pied les premiers centres de coordination dits « externes », créés à l’initiative des généralistes et regroupant l’ensemble des acteurs de première ligne. Ces centres sont des services de soutien au maintien à domicile ; ils se regrouperont plus tard en une fédération, la fédération ACCOORD1 qui existe toujours aujourd’hui. Quelques années plus tard (1991), la prise de conscience grandit que les soins à domicile constituent un enjeu important pour l’avenir et les mutualités socialistes décident de créer des Centrales de services à domicile – CSD, alter-ego de la Croix-jaune et Blanche (rebaptisée depuis lors Aides et soin à domicile – ASD) qui existe alors déjà depuis un certain nombre d’années à l’initiative de la Mutualité chrétienne. Pour soutenir cette initiative mutualiste, le ministre de la Santé de l’époque, Charles Piqué, fait adopter par le parlement de la Communauté française un décret relatif aux centres de coordination de soins et services à domicile (CCSSD). Pour ne pas créer l’affrontement avec les médecins, ce décret intègre les dispositifs existants en créant deux types de centres de coordination : « externes » et « intégrés ». Les externes ne dispensent pas de soins et de services mais coordonnent les services existants autour du patient ; les intégrés sont appelés ainsi car ils intègrent dans une même structure différents services (infirmières et aides familiales, mais aussi d’autres services mutuellistes comme le prêt de matériel, des services d’aide ménagère, la télévigilance, etc.). Intégrés ? A la différence des maisons médicales, les services CSD/ ASD n’intègrent pas les médecins. Ils nourrissent alors l’espoir de pouvoir le faire un jour, mais l’histoire montrera qu’ils n’y arriveront sans doute jamais. Il manque aussi un élément essentiel dans ce décret : une vision territoriale. Chaque service définit son propre territoire. Par contre, il consacre la notion de concurrence : concrètement, sur le terrain, on voit se développer alors très rapidement les trois centres de coordination : CSD, ASD et les centres « Accord » ; parfois ils seront quatre, quand certains CPAS prennent aussi l’initiative. Fin des années nonante, on dénombre en Wallonie plus de cent centres agréés ou non, tous avec peu de moyens : certains doivent assurer la permanence avec un seul emploi, ce qui évidemment est impossible. En toile de fond, c’est la Belgique elle-même qui réapparait dans ce processus : le partage entre chrétiens, socialistes et libéraux dans une société qu’on dit « pilarisée », par référence aux trois piliers qui structurent notre société de l’école aux soins de santé, passant pas les syndicats, les mutuelles, les partis politiques et même les mouvements de jeunesse… Retour sur l’histoire. En 1999, suite à l’affaire Dutroux, la crise de la dioxine et les « affaires », on assiste à un chambardement de l’échiquier politique : les sociaux chrétiens au pouvoir depuis très longtemps sont relégués dans l’opposition, les Verts font une percée fulgurante et tout cela conduit à la mise sur pied des gouvernements « arc en ciel » partout dans le pays (sauf à Bruxelles ou les verts ne seront pas associés), ce qui sera l’occasion d’initier une série de réformes. La santé est alors aux mains des Verts, dont l’objectif majeur sera de donner priorité à la première ligne et de sortir de la logique des piliers. C’est ainsi que la ministre Aelvoet prend l’initiative de créer les SISD, en concertation avec ses collègues des communautés et régions. Ce qui est neuf c’est la vision territoriale : le territoire est alors divisé en zones de soins, et dans chaque zone est mis sur pied une structure de type plate-forme, unique et regroupant l’ensemble des acteurs de ce territoire : médecins généralistes, infirmières indépendantes,… dans l’objectif de créer des synergies, de développer des services communs, d’organiser la concertation multidisciplinaire, et de structurer le dialogue avec les hôpitaux et autres structures de santé. Mais les résistances sont nombreuses : si cette réforme est relativement bien accueillie chez les généralistes, certaines mutualités la voient d’un mauvais œil puisqu’elle vient contrecarrer la logique de pilier. Mais pas partout : à Charleroi par exemple, ou encore dans le Hainaut occidental, certains ont compris que pour développer un service efficient à la population, il fallait sortir des logiques de concurrence stérile et mettre des outils en commun. En Hainaut occidental, deux éléments essentiels vont transformer le paysage de la santé : sa configuration géographique et démographique, et une réelle intelligence politique des dirigeants des mutualités. La Wallonie picarde, territoire sur lequel se développe le CECOSTO est très étendu et constitué de quatre pôles urbains de moyenne importante : Tournai, Ath, Mouscron et le petit territoire de Comines enclavé entre Flandre et France, coupé de Mouscron. Ces quatre pôles urbains organisent quatre bassins de vie distincts, et l’on peut constater que les services de santé s’organisent de la même manière. La question des hôpitaux va jouer un rôle déterminant. Fin des années 80, il existe quatre hôpitaux généraux à Tournai pour une population de 100.000 habitants : un chrétien, un socialiste, un CPAS et un provincial. Suite aux réformes initiées par le fédéral en vue rationaliser l’offre de soins, il devient impératif de procéder à des fusions pour garder une taille suffisante et développer les services à la population. Dans le pôle public, CPAS et province vont fusionner en une nouvelle structure. Mais celle-ci rencontre de plus en plus de difficultés et la ville doit éponger les déficits chroniques. De leur côté, les mutualités chrétiennes et socialistes construisent leur rapprochement depuis de nombreuses années. Une coupole interhospitalière est créée pour préparer la fusion. Un peu plus tard la ville cède son hôpital, et une nouvelle structure est créée issue de la fusion de quatre anciens hôpitaux. A l’avenir, il n’y aura plus qu’un seul hôpital qui, de ce fait, pourra aussi héberger des services de pointe qu’il n’aurait pas été possible de développer autrement. Au niveau des soins de première ligne, on assiste à une évolution similaire ; suite à la mise sur pied du CECOSTO, les acteurs réfléchissent à une réorganisation des services sur le territoire. A la faveur de la révision du décret sur les centres de coordination en Région wallonne en 2009, les mutualités chrétiennes et socialistes vont abandonner leur statut de centres intégrés pour créer quatre centres de coordinations externes sur le territoire, en respectant la logique des bassins de soins. L’objectif fixé par la réforme initiée en 2001 est atteint : le territoire de Wallonie picarde est organisé en quatre sous-territoires correspondant à des bassins de vie, avec un seul centre de coordination externe pluraliste dans chaque territoire ; le SISD joue le rôle de plate-forme sur l’ensemble du grand territoire. Cette nouvelle charpente ouvre des perspectives intéressantes à plus d’un titre. Citons par exemple : • la possibilité d’un numéro d’appel unique sur toute la zone, la tenue d’une banque de données permettant d’identifier les acteurs du domicile ; • la négociation d’accords de collaboration avec les hôpitaux concernant, par exemple, la réalisation d’outils de communication domicile/hôpital, etc. Mais d’autres perspectives s’ouvrent sur le plan intersectoriel. Deux autres secteurs de la santé, faisant pourtant partie intégrante des soins de santé primaires ont leurs propres territoires, différents des SISD : il s’agit des centres locaux de promotion de la santé (CLPS) et des plateformes de santé mentale. Ces différentes structures, même si elles ont leurs spécificités propres, ont des activités qui se recoupent largement et regroupent en partie les mêmes acteurs. La réforme en cours en santé mentale – PFSM (projet 107) est exemplative : les acteurs de première ligne, dont les généralistes sont fortement concernés. Regrouper au même endroit CLPS, PFSM et SISD aurait de multiples avantages : facilitation de la communication intersectorielle, développement d’une logistique commune, banques de données communes, meilleure visibilité pour les professionnels et l’usager, etc. On en vient à l’idée du guichet unique : une seule entrée dans le système, tout en préservant sa diversité. Mais pour que cela soit possible, il faut harmoniser les territoires. L’étape suivante ?

Et les maisons médicales dans tout ça ?

Certains objectent qu’il y a une contradiction entre le modèle maison médicale et ce type d’organisation. En fait, on peut identifier trois modèles : le centre de santé intégré, le modèle mutualiste et le modèle libéral. La réalité, c’est que ça existe et que cela existera encore longtemps. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose : cette diversité est aussi une richesse, il n’y a pas de réponse unique. Mais c’est aussi notre responsabilité de veiller à une utilisation optimale des ressources et certaines fonctions ne peuvent être assumées par les maisons médicales individuellement. En ce moment par exemple, nous travaillons à Tournai à l’élaboration d’une fiche de liaison domicile/hôpital. Cela fait une trentaine d’années que nous avions entrepris ce travail, sans jamais y parvenir : la multiplicité des acteurs concernés et l’absence d’organisation commune avaient toujours conduit à l’impasse. Aujourd’hui, l’unicité de l’hôpital et l’existence d’une structure commune faîtière permettent de penser que cela sera possible. D’où l’importance pour les maisons médicales d’être présentes dans ces structures de concertation. Le vieillissement de la population, le coût des soins de santé sont des enjeux très importants pour l’avenir. Si l’on veut garantir à tous des soins de santé de qualité, à un coût acceptable pour la collectivité, une meilleure organisation du système est indispensable, particulièrement en première ligne. Les logiques de concurrence qui conduisent à des doubles emplois doivent être combattues, l’accessibilité aux services doit être optimalisée, les complémentarités mieux identifiées. Il y a du travail pour tous. A l’analyse de ce qui se passe à certains endroits, on peut dire que les logiques de chapelle ne sont pas nécessairement une fatalité. C’est aussi cela le service public.

Documents joints

  1. ACCOORD : Association de centres de coordination de soins et services à domicile situées en Communauté française.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 56 - avril 2011

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