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Autogestion et médiation: ça rime ou ça rame ?


Santé conjuguée n° 68 - juillet 2014


Suite à une erreur lors du processus de publication, le texte imprimé n’était pas celui souhaité par l’auteur, le voici dès lors ci-dessous.

Pour explorer la place de la médiation
dans le secteur des soins de santé et
des maisons médicales en particulier, il
semblait incontournable d’interroger
les liens et tensions éventuels entre
autogestion et médiation. La première
influence-t-elle la perception de la
seconde ? A-t-elle un impact sur
la manière de la mettre en oeuvre ?
Quelques pistes de réflexion avec
Gaëlle Chapoix.


Ne noyons pas le poisson : comme l’illustrait
encore le cahier sur ce sujet ( « L’autogestion
à contre-courant ? – Petit cadavre exquis
des pratiques plurielles », Santé conjuguée
n°63, février 2013 ), l’autogestion reste en
perpétuelle élaboration avec des conceptions
et des mises en oeuvre diverses et variées.
La réflexion partira donc ici d’un concept
de base pas toujours acquis : l’autogestion
comme gestion collective et autonome d’un
projet commun. Dans l’idéal du mouvement,
tel que formulé entre autres dans la charte
des maisons médicales1, il y a même une
volonté de créer une place pour les usagers
afin qu’ils puissent prendre part d’une manière
ou d’une autre à cette gestion collective. Dans
cette perspective, médiation et autogestion
pourraient bien faire bon ménage !

En effet, la médiation est un processus qui vise
à résoudre les conflits. Or ceux-ci sont inévitables
dès qu’il y a une rencontre entre des
besoins individuels ( de professionnel à professionnel,
de professionnel( s ) à usager( s ) … ).
Et que ces rencontres s’inscrivent dans une
dimension collective et de projet : celui de
maison médicale. Ce qui est attirant dans la
médiation par rapport au projet des maisons
médicales, à leur idéal de participation, des
professionnels et des usagers, c’est qu’elle
pourrait permettre de transcender les contradictions,
et par là même de rendre le conflit
créatif, d’en tirer de nouvelles ouvertures,
quelque chose de plus et de nouveau qui n’aurait
peut-être pas pu voir le jour autrement …
Ça rime donc ? !

Partager le pouvoir ?

Mais bon quand même, l’autogestion dit ce
qu’elle dit. Auto : « préfixe qui vient d’un
pronom grec qui signifie de soi-même, par
soi-même ». Pas besoin d’un tiers, pardi !
Autogestion des conflits. « On se débrouille ».
Pourtant, l’autogestion et le travail en équipe
pluridisciplinaire, parfois, ça rame … « à
contre-courant ». Travailler dans un cadre
autogestionnaire serait une opportunité, voire
un privilège, et un effort à la fois. Un effort
car la société actuelle ne nous apprend pas ce
mode de fonctionnement ; il la dérange même
par la remise en question qu’il comporte.
L’autogestion, ça ne coule donc pas toujours
de source. De nombreuses équipes vont
d’ailleurs chercher de l’aide à l’extérieur, de
la formation à la supervision … Chercher de
l’aide. Intéressant ça ! Car la psychologie nous
dit que l’autonomie c’est aussi être capable de
demander de l’aide. L’intervention d’un tiers
serait dès lors compatible avec l’autogestion.
Un point en faveur de la médiation.

C’est clair que l’autogestion, c’est un
boulot en soi qui nécessite de faire avec la
diversité des points de vue et des besoins
de ses collègues, d’accorder les visions, les
fonctions, les personnalités … Il y a déjà peutêtre
tellement à faire qu’il pourrait sembler
pesant de prendre en compte encore un peu
plus les visions, besoins et personnalités des
usagers ? Et puis, on part du principe que
l’autogestion c’est le pouvoir aux travailleurs,
la possibilité d’intervenir sur l’organisation
du travail, de son travail. Un pouvoir d’autant
plus précieux qu’il est rare dans notre contexte
sociétal hiérarchisé et individualisé. S’ouvrir à
un processus de médiation, serait-ce s’ouvrir
à la possibilité que les usagers, à travers
l’expression de besoins non rencontrés puisque
manifestés à travers un conflit questionnent
certains éléments de cette organisation du
travail ? Ne serait-ce pas prendre le risque
de partager ce pouvoir, son pouvoir, avec les
usagers ? Accepter d’entrer en médiation, ce
serait s’engager dans un processus dont on ne
connaît pas l’issue. Ce serait prendre le risque
qu’émergent d’autres possibles, qu’éclose un
changement, sans que l’équipe et ses membres
n’en aient toute la maîtrise ?

Rencontrer ?

Il y a au coeur de la médiation la rencontre de
l’autre. Et au coeur des valeurs du mouvement
le respect de l’altérité. Ça rime encore !
Mais parfois, tout humain que nous sommes,
nous tendons à enfermer l’autre dans les
représentations que nous en avons. Quels sont
les regards portés sur les patients en général ?
Quelle est leur capacité à nourrir le projet
de la maison médicale ? Y a-t-il patients et
patients ? Ceux avec qui on se sent proches,
à l’aise, avec lesquels il y a suffisamment
de commun … et les autres, ceux dont les
attitudes, les comportements, les mots,
dérangent, sèment l’incompréhension ou peutêtre
même parfois une vaguelette de panique ?
La médiation serait-elle une porte ouverte à
tous ceux qui n’attendent que ça pour venir
râler, encore ? ! Ou bien serait-elle une porte
ouverte sur de nouveaux champs, un espace
de création et de co-construction ? N’est-ce
pas souvent tout simplement la peur qui nous
susurre de maintenir la porte close ? La peur
de l’autre, la peur du changement, de la perte
des repères, de la perte de contrôle ?

Ce contrôle que la société néolibérale nous
intime de garder sur nous-mêmes et ce qui
nous entoure, contrôle qu’elle promet à
l’individu s’il se préoccupe de ses affaires, de
lui-même, s’il se désolidarise. Mais ne serait-il
pas qu’illusion ce contrôle individuel, mirage,
miroir aux alouettes derrière lequel quelques
puissances peuvent tirer les ficelles ? (non non
je ne sombre pas dans la théorie du complot).
N’est-ce pas là que se trouve le sens politique
et humaniste de l’autogestion en tant que
résistance et moteur de changement de société
? Pour continuer de croire que c’est ensemble,
solidaires, que l’on peut construire un autre
monde ?

Et dans ce cas, la médiation ne constitueraitelle
pas un dispositif précieux ? Précieux pour
dépasser les conflits qui peuvent miner le
quotidien. Pour ne pas lâcher les plus démunis,
continuer d’offrir des services accessibles
à tous, même à ceux qui, de prime abord,
dérangent et questionnent ? Précieux pour
poursuivre la démarche d’innovation, source
du mouvement des médicales ?

Peut-être est-il utile aussi de se rappeler que
s’ouvrir à l’autre ne signifie pas s’oublier
soi-même. Dans le processus de médiation,
les deux parties sont écoutées, et invitées à
s’écouter autrement en vue de se comprendre,
de « prendre avec », plutôt que de rejeter.
Prendre pour co-construire. Stop. Deux
parties ? Le patient et … ? Mais qui est la
deuxième partie quand un conflit surgit en
maison médicale ? Un professionnel, plusieurs,
l’équipe, l’institution ? Qui, physiquement,
sera présent aux rencontres avec le médiateur et
l’usager ? L’équipe ou l’institution mandaterat-
elle un travailleur ? Mandater, avec quelle
marge de liberté ? Si la position collective est
non négociable, la médiation sera impossible.
Elle serait restreinte à un espace d’écoute des
positions de chacun. Comment le processus
de médiation peut-il s’adapter aux spécificités
du mode de fonctionnement des maisons
médicales, d’équipes pluridisciplinaires,
de structures autogérées ? Et comment
ces structures et ces équipes peuvent-elles
se préparer au processus de médiation ?
Comment accueillir la critique de l’usager, non
comme une attaque personnelle ou du projet,
mais comme l’expression d’un besoin qui n’a
ni plus ni moins de valeur que ceux de l’équipe
et de ses membres ? S’ouvrir à la médiation en
maison médicale, ne serait-ce pas ne plus avoir
peur du conflit, ni avec les collègues, ni avec
les usagers ?

Transformer ?

La médiation pourrait être une belle
opportunité de transformer les modes
d’être ensemble ; ce serait peut-être ( trans )
formateur, individuellement et collectivement,
transformateur tant pour la mise en oeuvre de
l’autogestion que celle de la participation des
usagers … Un vent d’idéalisme voire d’utopie
souffle sur la rédaction de cet article. À la
relecture, je vois qu’il parle entre chaque ligne
de la communication empathique, un des
quatre dispositifs choisis pour nos formations
à la décision collective.

Et je repense soudain à cette interpellation de
Luc Carton qui s’adressait ainsi en 19922 aux
(travailleurs de) maisons médicales : « Dans
n’importe quel service public, et vous êtes
un service public décentralisé sans le savoir,
l’autogestion radicale est impossible parce
qu’il y manquerait l’intrusion du citoyen,
l’intrusion de l’universel, parce que ce qui
vous importe ce n’est pas de produire [des
actes de soins], c’est de transformer ; c’est
que la production serve à la transformation, et
cela, vous ne pas en décider seul.

Donc, il faut absolument trianguler cette
relation producteur/usager, il faut l’ouvrir à
l’extérieur.

On ne peut pas se limiter à des procédures de
démocratie interne si on prétend contribuer à
la démocratie externe. Aucun service public
ou assimilable ne peut être radicalement
autogéré. […]

Intégrer donc une dimension dans les rapports
de consommation qui fasse place au citoyen
et non pas seulement à l’usager me semble le
plus fondamental ; cela peut se faire par des
médiations collectives quand vous êtes dans
un quartier qui en a. ».

  1. www.
    maisonmedicale.org/
    Leur-charte-leursvaleurs.
    html
  2. Santé et gestion,
    Ambivalences des
    centres de santé
    intégrés In « De la
    santé de la gestion
    à la gestion de la
    santé » – Courrier
    n°74 décembre 1992
    – janvier 1993 – p
    43. Ce document
    fait partie des «
    traces de l’histoire
    » du mouvement
    des maisons
    médicales : http://
    maisonmedicale.org/-
    Traces-1992-.html

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 68 - juillet 2014

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