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Améliorer les conditions de vie : une action politique et intersectorielle

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Santé conjuguée n° 49 - juillet 2009

En 2006, des taux élevés de pollution due aux particules fines sont observés dans la région de Charleroi, particulièrement dans les quartiers de La Docherie, Dampremy et « Porte Ouest ». Certaines personnes se plaignent de malaises, l’air est visiblement lourd, embaumé d’odeurs suspectes et désagréables… Une analyse révèle que les normes sont largement dépassées : en principe, un maximum de 50 microgrammes de particules par m³ ne peut pas être dépassé plus de 35 fois par an – or, cette année-là cette limite est dépassée un jour sur deux !

Interview de Patrick Jadoulle, médecin généraliste à la maison médicale La Glaise par Marianne Prévost, sociologue à la Fédération des maisons médicales.
Que faire lorsqu’il y a des pics de pollution ? Les mesures recommandées au public sont assez simples : ne pas sortir – et certainement pas en voiture, ce qui ne ferait qu’empirer la situation ; ne pas faire d’exercice physique intense ; à l’intérieur des maisons, nettoyer à l’eau plutôt qu’à l’aspirateur… On peut aussi lutter contre les sources de pollution : le trafic automobile, les chauffages domestiques et les industries. « Dès le départ », précise Patrick Jadoulle, « nous avons voulu qu’il y ait une action au niveau des industries : il était pour nous inacceptable d’informer le public et les professionnels, de demander aux gens de se responsabiliser, de changer leurs habitudes, sans lutter d’abord contre les causes collectives du problème ». Les autorités publiques s’inquiètent, et mobilisent une task force rassemblant les cabinets politiques concernés : celui de Christiane Vienne, ministre de la Santé et de l’Action sociale en Région wallonne, de Benoît Lutgen, ministre de l’Environnement en Région wallonne, et de Catherine Fonck, ministre de la Santé à la Communauté française. Cette task force met sur pied un groupe Santé et Environnement où se retrouvent les référents des trois cabinets et de leurs administrations, des experts scientifiques de l’Observatoire de la santé du Hainaut et de l’Institut de santé publique, ainsi que plusieurs acteurs locaux : la ville de Charleroi, l’association Espace Environnement, les Espaces citoyens mis en place par le CPAS de Charleroi, et la maison médicale La Glaise précisément implantée dans un des quartiers concernés, la Docherie. Ce groupe sera chargé d’informer la population et de former les professionnels concernés, ainsi que de coordonner les activités de deux autres groupes :
  • un comité techno-scientifique comprenant des experts issus des industries impliquées dans le phénomène de pollution, des experts extérieurs, un représentant d’Espace Environnement, deux représentants des habitants. Mission de ce groupe : identifier les mesures nécessaires pour supprimer la pollution à la source, valider des propositions et surveiller leur mise en application ;
  • un comité de suivi, comprenant des représentants du Comité des riverains (fédérés par Espace Environnement) et des Espaces Citoyens, des responsables de l’administration de la Région wallonne, le ministre Lutgen, les syndicats des entreprises concernées, des experts choisis par les habitants.
Dispositif ambitieux, au sein duquel la maison médicale La Glaise a une place de choix. Cette équipe a insisté, aux côtés d’autres membres du groupe Santé et Environnement, sur deux aspects, parfois négligés alors qu’ils sont toujours fondamentaux dans une approche de promotion de la santé : la nécessité de former les professionnels en contact avec le public, afin qu’ils puissent répondre de manière concrète et adaptée aux inquiétudes des publics dont ils sont proches et de mener une action vers les entreprises responsables de la pollution. L’ensemble du processus a bien fonctionné : les industries ont fait des investissements, en 2007 et en 2008 pour diminuer la pollution à la source CARSID a carrément fermé ses portes en janvier 2008 : c’était une vieille cokerie, en mauvais état, extrêmement polluante. Les ouvriers ont été reclassés dans des postes moins nocifs. Arcelor Mittal, ancienne fabrique de fer ou FaFer comportait des hauts fourneaux-laminoirs ; des électrofiltres ont été placés sur les cheminées et les halls d’aspiration afin que les poussières ne se répandent pas. Le même type d’investissement a été fait chez Industeel, une aciérie électrique plus récente. Plusieurs facteurs ont sans doute favorisé cette belle adhésion des industries : le climat économique était alors meilleur qu’aujourd’hui, et les industries avaient les moyens financiers nécessaires pour réaliser ces aménagements. L’invitation qui leur a été faite, de participer au processus à côté d’autres acteurs a sans doute aussi permis de trouver des solutions sans trop d’affrontements. Et, last but not least, le ministre Lutgen menaçait de retirer les permis d’exploitation si les industries n’appliquaient pas, de manière anticipative, de nouvelles normes très strictes qui seront obligatoires au niveau de l’Europe en 2010. Revenons-en à la maison médicale : l’attachée de cabinet de Christiane Vienne, qui connaît La Glaise et son approche globale de la santé vient présenter le projet à toute l’équipe, dont quelques membres se mobilisent particulièrement et forment un petit groupe « Environnement et santé », que nous appellerons ici E/S (cela évitera de le confondre avec le groupe Santé et Environnement évoqué ci-dessus). A partir de ce moment, et jusqu’à la fin 2008, ce groupe, en concertation avec Espace Environnement et les Espaces citoyens des trois quartiers concernés développe une intense activité sur le terrain vers les professionnels et vers la population. Il s’agit d’expliquer les causes de la pollution et ses conséquences au niveau de la santé, la manière de se prémunir, et le processus mis en place pour lutter contre les causes de ce problème.

Activités vers la population

Les rencontres avec la population s’organisent dans différents lieux, avec différents groupes, par exemple : réunion de travail avec les habitants riverains relais et l’échevin de l’environnement de la ville de Charleroi, réunion d’information à l’hôtel de ville de Marchienne-au-Pont, organisée par le même échevin et le ministre de l’Environnement de la Région wallonne ; rencontres avec les habitants de Dampremy, avec les résidents d’une maison de repos à Monceau-sur-Sambre et leurs familles… L’équipe de la maison médicale participe à des réunions de travail de la plate-forme en santé communautaire des quartiers ouest de Charleroi, en vue de la mise sur pied d’une « journée Bien Air » qui a eu lieu en mai 2008. A cette occasion, plusieurs membres de l’équipe tiennent un stand sur le souffle et sensibilisent le public à l’impact des divers polluants atmosphériques sur les performances ventilatoires.

Activités vers les professionnels

Du côté des professionnels, le groupe E/S de La Glaise, qui s’est formé pour bien connaître tous les aspects de la question est officiellement reconnu comme expert en matière de pollution atmosphérique et de ses implications sanitaires. Il organise, en collaboration avec l’Observatoire de santé du Hainaut et Espace Environnement, plusieurs réunions d’information et de formation pour divers intervenants : les intervenants médico-psycho-sociaux du quartier de la Docherie, mais aussi plus largement les professionnels de la santé et de l’aide à domicile des trois quartiers. Ainsi, au cours du premier semestre de l’année 2007, plusieurs membres de la maison médicale participent à des réunions d’information et de coordination locale et organisent une séance d’information à la Maison pour associations de Marchienne-au-Pont où sont invités tous les médecins généralistes, kinésithérapeutes, infirmières à domicile (y compris les services salariés), dentistes, pharmaciens, ainsi que le personnel des consultations ONE et des centres de promotion santé à l’école actifs sur les quartiers de Marchienne-au-Pont, Dampremy et Monceau-sur-Sambre. Cela représente 200 personnes, dont une soixantaine viendront – parmi lesquelles 25 infirmières et 10 médecins généralistes. Ensuite, la maison médicale invite les responsables des trois services d’aides familiales locaux (service familial, CPAS & Aides et soins à domicile – ASD), pour concevoir avec eux une formation spécifique aux aides familiales. Cette collaboration permettra de réunir, toujours à la Maison pour associations, et avec Espace Environnement, une centaine d’aides familiales pour deux séances, au cours desquelles elles recevront un document d’information succinct. Au départ, il n’avait pas été prévu de s’adresser ainsi, de manière spécifique, aux aides familiales – la problématique abordée n’était-elle pas trop complexe pour elles qui n’ont en général qu’un faible niveau d’information ? Mais au fil des rencontres, il est apparu très intéressant de les mobiliser car elles rencontrent les gens à domicile, dans une relation concrète et de proximité… A l’issue de la formation, E/S et Espace Environnement ont rédigé une brochure de type « Foire aux questions » destinée au public, sur base des questions, des interpellations des participantes ; c’était aussi une manière de valoriser leur expérience, leurs savoirs, et d’en faire des agents actifs d’information du public. Malheureusement, les aides familiales n’ont finalement pas beaucoup distribué cette brochure aux gens car beaucoup « n’étaient pas intéressés » : soit parce qu’ils étaient fort âgés, et peu enclins à se préoccuper de pollution (« il faut bien mourir de quelque chose »), soit parce qu’ils vivaient dans une grande précarité et avaient bien d’autres soucis… Nous reviendrons ci-dessous, en conclusion, sur cette difficulté fréquemment observée. En 2008, le groupe E/S est également invité dans trois groupes locaux d’évaluation médicale (GLEMs), dont les membres se montrent très intéressés. Actuellement, le groupe E/S projette de travailler avec les écoles primaires pour toucher les parents via les enfants. Il pense aussi contacter les écoles supérieures : dès leur formation de base, les assistants sociaux, les infirmières, les éducateurs peuvent être formés à la problématique, à leur rôle de relais vis-à-vis du public, à la richesse d’une approche communautaire en santé. C’est d’autant plus intéressant que beaucoup de ces jeunes sont nés dans la région, y restent la plupart du temps, et sont issus de divers xxx.

La richesse de la dynamique communautaire

Que retenir de cette expérience ? D’abord, qu’elle représente un bel exemple d’action communautaire : tous les acteurs concernés ont travaillé ensemble, dans un objectif commun. Cela a permis d’aborder le problème sous différentes facettes – les causes, et la manière d’adapter les comportements. Le public n’a pas été informé simplement par une campagne mass media : il a été rencontré dans divers lieux, et des relais de proximité, bien informés, ont pu aborder les questions d’une manière adaptée, en fonction de ce que pensaient les habitants. La structure mise en place, assez complexe a permis d’articuler les différentes places, les différents enjeux – dont certains étaient sans doute en tension. A cet égard, le rôle des pouvoirs publics a certainement été déterminant : les habitants, le terrain associatif n’auraient pas pu à eux seuls influencer les entreprises. Cette intervention active du politique est très bénéfique : bien souvent, les acteurs de promotion de la santé savent qu’un problème est dû à des conditions objectives, mais ils n’ont pas le pouvoir de changer ces conditions et se trouvent face à des décideurs un peu sourds… alors, ils doivent bien bricoler des solutions, soutenir les gens pour qu’ils modifient leurs comportements, pour qu’ils s’adaptent. Jusqu’à s’épuiser, parce qu’un jour, le sentiment de n’être là que pour mettre des rustines devient insupportable. La nécessité d’agir sur les racines d’un problème est bien démontrée par l’histoire de la brochure confiée aux aides familiales. Elles ne la distribuent que très peu, parce que beaucoup de gens dont elles s’occupent ne s’intéressent pas à la question : trop vieux, trop précarisés… Ces gens sont peut-être plus à risque que la moyenne, mais leurs priorités sont ailleurs : faut-il tenter de modifier leurs priorités, ou lutter pour qu’ils ne soient pas exposés à la pollution ? Un autre aspect intéressant de cette dynamique communautaire, c’est qu’elle a mobilisé d’autres initiatives. Par exemple, les habitants se sont posé des questions sur leurs potagers : étaient-ils contaminés, pouvaient-ils sans risque consommer ce qu’ils cultivaient ? Une étude a été réalisée en 2008 par un institut parapublic (étude LEGUMAP1). La maison médicale a appris beaucoup de choses tout au long de ce processus : non seulement sur la pollution et ses conséquences sanitaires, mais aussi sur les associations locales. Elle a rencontré des acteurs qu’elle ne connaissait pas, ou peu, et a été invitée à rejoindre une plate forme de santé communautaire, qui réunit les Espaces citoyens, le centre local de promotion de la santé, Educa Santé, un centre de santé mentale de Charleroi, des intervenants s’occupant de la gestion des immondices… et cette plate forme a noué des relations avec Espace Environnement. Bref, agir en santé de manière communautaire nécessite l’alliance avec d’autres partenaires… et permet aussi de créer ces alliances. « Espace environnement » est un organisme indépendant d’intérêt public qui travaille avec les citoyens, les associations, les entreprises et les pouvoirs publics dans des domaines aussi divers que l’urbanisme, l’aménagement du territoire, la mobilité, le patrimoine, l’environnement, la prévention des déchets ou la santé. Les « Espaces citoyens » sont des décentralisations du CPAS visant à susciter la participation citoyenne dans des projets collectifs centrés sur les quartiers concernés.

Documents joints

  1. Cette étude a conclu qu’il existait bien une pollution diffuse des sols au cadmium et au plomb mais qu’il n’y avait un risque que pour les enfants de moins de 7 ans s’ils ne mangeaient que les légumes du potager seulement dans un quartier de Dampremy.

Cet article est paru dans la revue:

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