Aller au contenu

Améliorer la qualité des soins : quelle place pour la médiation ?


Santé conjuguée n° 68 - juillet 2014

La qualité des soins, au coeur de la grande majorité des plaintes dans les soins de santé est une notion très subjective. Parmi les différentes approches sur la qualité des soins, un point commun : la place centrale accordée à la relation interpersonnelle. Relation, regards différents, divergences, dialogue… Quels liens peut-on établir entre qualité et médiation ?

Toute discussion sur la qualité des soins est encadrée par la reconnaissance du droit humain fondamental qu’est le droit à la santé. Ce droit est défini dans de nombreux traités internationaux, à commencer par la charte de l’Organisation mondiale de la santé de 1946 et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ( 1966 ). L’observation générale n°.14 sur « Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint » ( art. 12 du Pacte ) fut adoptée en 2000 pour aider les états parties à respecter ce droit et mettre en oeuvre des mesures permettant d’atteindre le « meilleur état de santé susceptible d’être atteint ». Cette observation définit quatre éléments qui composent le droit à la santé, et notamment l’élément qualité ( voir encadré ci-dessous ). Ces traités, s’adressant aux états examinent avant tout les systèmes de santé au niveau national et ne répondent donc pas aux questionnements sur la qualité au niveau d’une structure de santé ou au niveau du patient. Observation générale n° 14 : les quatre éléments du droit à la santé La disponibilité : l’existence, en quantité suffisante, installations, de biens et de services ainsi que des programmes fonctionnels en matière de santé publique et de soins de santé. L’accessibilité : les installations, biens et services en matière de santé doivent être accessibles à tous. L’accessibilité comporte quatre dimensions qui se recoupent mutuellement : • la non-discrimination ; • l’accessibilité physique ; • l’accessibilité économique ; • l’accessibilité de l’information. L’acceptabilité : Les installations, biens et services en matière de santé doivent être respectueux de l’éthique médicale, appropriés sur le plan culturel et réceptif aux exigences spécifiques liées au sexe et au stade de la vie. La qualité : Les installations, biens et services en matière de santé doivent être scientifiquement et médicalement appropriés et de bonne qualité.

Définir la qualité des soins

La notion de qualité des soins est définie de manière variable. Cependant, toutes les définitions intègrent la manière dont les soignants et les structures de santé répondent aux besoins de l’individu et de la population afin de garantir leur bien-être, dans la mesure du possible. Pour l’Organisation mondiale de la santé, une démarche de qualité des soins « doit permettre de garantir à chaque patient la combinaison d’actes diagnostiques et thérapeutiques qui lui assurera le meilleur résultat en termes de santé, conformément à l’état actuel de la science médicale, au meilleur coût pour un même résultat, au moindre risque iatrogène et pour sa plus grande satisfaction en termes de procédures, de résultats, et de contacts humains à l’intérieur du système de soins » ( 1982 ). Avedis Donabedian ( 1919-2000 ), physicien et chercheur à l’école de santé publique de l’université du Michigan a développé dès 1966 un cadre pour évaluer la qualité des soins. En 1980, il proposait la définition suivante : « Les soins de haute qualité sont les soins visant à maximiser le bien-être des patients après avoir pris en compte le rapport bénéfices/risques à chaque étape du processus de soins. ». Troisième définition régulièrement citée : celle de l’Institute of Medicine ( IOM ) des Etats-Unis. Il s’agit de la « capacité des services de santé destinés aux individus et aux populations d’augmenter la probabilité d’atteindre les résultats de santé souhaités, en conformité avec les connaissances professionnelles du moment ». En 1997, la Fédération des maisons médicales a relevé les critères de qualité des soins proposés par la littérature sur les soins de santé primaires, un travail qui s’est largement référé au cadre et aux concepts développés par Donabedian1. Ce premier inventaire a été développé dans le cadre d’une rechercheaction menée pendant deux ans avec un groupe d’équipes. Un ‘carnet de bord en assurance de qualité’ a été élaboré, et reste central dans le cadre des formations toujours proposées aujourd’hui par la Fédération aux travailleurs des maisons médicales. Cet outil comporte notamment une liste de 14 critères : certains sont issus de la littérature tandis que d’autres ont été formulés avec les travailleurs ( de plusieurs disciplines, ce qui leur confère un intérêt particulier ) à partir de leurs valeurs et de leur expérience de terrain. Le patient dans la démarche qualité La qualité des soins comporte plusieurs dimensions, et Donabedian en propose trois : structure, processus, et résultats. Il place les considérations spécifiques liées au patient dans la dimension « processus ». Le modèle Institute of Medicine ( Crossing the Quality Chasm )2 propose les éléments de sécurité, efficacité, efficience, réactivité ( timely ), équité, et centré sur le patient. Ce dernier élément est issu d’un travail sur la qualité des soins du point de vue des patients élaborée par le Pickler/Commonwealth Program for Patient-Centered Care en 19883. Le cadre Pickler avait identifié les huit caractéristiques de qualité des soins qui sont les plus importantes du point de vue du patient : • le respect pour les valeurs, préférences, et besoins exprimés par le patient ; • les soins intégrés et coordonnés ; • l’éducation et information claires et de haute qualité pour le patient et sa famille ; • le confort physique, y compris la gestion de la douleur ; • le soutien émotionnel et atténuation de la peur et de l’anxiété ; • la participation appropriée des membres de la famille et des amis ; • la continuité ; • l’accessibilité. Les aspects qui représentent la perspective du patient sont tout aussi importants dans une démarche qualité que les aspects « techniques » ou cliniques. La qualité du contact entre soignant et patient, l’information partagée avec le patient, la continuité des soins, la satisfaction du patient, ses préférences individuelles, le comportement du soignant doivent être pris en compte. La qualité perçue ou ressentie par le patient est complémentaire à la qualité délivrée par le soignant et par la structure, et doit être intégrée à une évaluation globale de la qualité des soins. Le développement du mouvement des droits du patient ( et notamment l’élaboration en 1994 de la Charte d’Amsterdam au niveau européen, la loi belge,… ), le développement important du concept de « soins centrés sur le patient », les évolutions dans le champ de communication en santé, et le développement de processus spécifiques tels que la prise de décision partagée ( shared decision-making ) sont différentes manière de prendre en compte la place du patient dans une approche qualité. La médiation dans une approche de soins de santé centrée sur le patient Une approche centrée sur le patient n’implique pas la primauté du point de vue du patient. Les points de vue du patient et du soignant ou de la structure de soin peuvent ainsi se heurter, nécessitant une communication et si nécessaire une confrontation de ces points de vue. Dans cette approche centrée sur le patient, la médiation est complémentaire aux autres processus existants. La médiation peut être particulièrement utile au niveau des soins de santé primaires : de multiples trajectoires de soins peuvent s’y déployer, et la perspective du patient devient essentielle pour développer un trajet de soins réussi. Elle permet un espace supplémentaire de communication et de résolution des conflits. En offrant cet espace de communication, la médiation renforce l’autonomie du patient – par ailleurs une des valeurs clé de la Fédération des maisons médicales. Elle est également une opportunité pour les professionnels de santé. Confrontés à une perspective complémentaire ou parfois divergente, la médiation les incite à réévaluer et parfois modifier leur mode de fonctionnement. Quel impact sur la qualité des soins ? Il est difficile de mettre en évidence les liens de cause à effet entre une approche centrée sur le patient et les impacts sur la qualité des soins – et sur l’état de santé luimême. La dimension interpersonnelle de la qualité des soins, notamment l’instauration d’un climat d’écoute et de confiance ainsi que le partage d’informations est un facteur important qui contribue à l’état de santé et à la qualité de vie du patient – même si cela est difficilement mesurable. La communication dans le domaine de la santé est un champ de recherche relativement récent et même si certains liens sont clairs – diminution de stress suite à un échange, par exemple – les effets restent le plus souvent diffus. Ainsi, le guide The Knowledgeable Patient : Communication and Participation in Health, publié en 2011 par le groupe Cochrane constate que « la communication est l’intervention la plus répandue dans le système de santé » mais note que l’evidence base reste encore à développer. Une revue Cochrane datant de 2011 a examiné plus spécifiquement les outils d’aide à la décision ( decision aids ), et a conclu que leur utilisation apporte au patient une meilleure perception des risques, un plus grand nombre de décisions compatibles avec ses valeurs, et un niveau réduit de conflit décisionnel interne. Globalement, la littérature semble clairement indiquer l’impact positif d’une participation active de la part du patient. Nous pouvons en déduire que la médiation peut renforcer ce climat de confiance entre la structure de prise en charge et le patient, et ainsi faciliter la participation active de celuici. La médiation devient une méthode de communication parmi d’autres, qui rend la relation thérapeutique plus efficace, soutient le patient dans sa prise de responsabilité, et promeut une meilleure compréhension ainsi qu’une prise de décision partagée. Des patients plus autonomes Le patient n’est plus considéré comme un simple usager de services, mais comme un partenaire à part entière dans la prise en charge de ses soins. En ce sens, la médiation, à côté d’autres processus renforce le positionnement du patient face à la prise en charge de son état de santé ; elle contribue donc à une démarche de qualité des soins. En offrant au patient une opportunité supplémentaire de prise d’autonomie et même d’empowerment, et d’autre part, en permettant au soignant ou à la structure soignante d’améliorer son offre et son soutien face au patient, la médiation semble être un élément utile à la qualité. Au-delà des bénéfices pour l’individu, elle pourrait devenir un outil de suivi important, complémentaire aux autres outils de démarche qualité. Indépendamment de ce qui précède, il reste essentiel d’offrir un accès à la médiation qui permet à tout individu de « participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en oeuvre des soins de santé qui lui sont destinés » ( article IV de la Déclaration d’Alma Ata ).

Documents joints

  1. Lire Santé conjuguée, n°21.
  2. Institute of Medicine « Crossing the Quality Chasm », La qualité des soins en France : comment la mesurer pour l’améliorer ?, IRDES DT n. 19, décembre 2008.
  3. Shared Decision Making – The Pinnacle of Patient-Centered Care.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 68 - juillet 2014

Les pages ’actualités’ du n° 68

Médecin de famille dans le premier monde

Un médecin de famille du premier monde installé dans une banlieue d’une ville post industrielle de Belgique, de celles qui au XIXème ont donné la puissance industrielle à la base de la colonisation et de la(…)

- Dr Marc Jamoulle

Sauver des vies ?

Comme je suis un peu vicieux, je pose régulièrement la même question à mes malheureux stagiaires : « à quoi sert le métier que vous allez très bientôt pratiquer ? ». Au-delà du silence embarrassé, j’entends(…)

- Dr Pierre Drielsma

Hommages conjugués

Il est passé en avril à la Fédération des maisons médicales, avec quelques textes, traces de l’histoire des maisons médicales. Il avait promis d’en ramener d’autres, bientôt. Il ne le fera pas. Pierre Mercenier est décédé(…)

-

Quelle place ont les maisons médicales dans le projet de réforme des soins de santé mentale ?

La Fédération des maisons médicales examine différents axes et dans différentes régions la place des maisons médicales dans le projet de réforme des soins de santé mentale. Quelques constats, réflexions et ouvertures vers l’avenir.

- Christian Legrève, Claire-Marie Causin, Coralie Ladavid, Dr Olivier Mariage, Marianne Prévost

Bouleverser l’Ordre établi

Il y a quelques mois, Sofie Merckx, médecin à la maison médicale de Marcinelle comparaissait devant la Cour d’Appel du tribunal de Mons suite à sa condamnation, en 2007, pour cotisations impayées à l’Ordre des médecins.(…)

- Marianne Prévost

Chapitre 2 : du concept à la pratique

Du concept à la pratique

La médiation, un concept que l’on tend à réduire à la résolution de conflits. Or, il y a surtout derrière ce mot l’idée d’un espace médian qui se glisse dans une relation à deux. Un espace(…)

-

Du concept aux soins de santé

Les situations de plaintes ou de conflits qui cherchaient traditionnellement une issue en justice se tournent de plus en plus souvent vers ce qu’on appelle « les modes alternatifs de résolution des conflits », au rang(…)

- Marie-Françoise Meurisse

La médiation au service des changements sociaux

Dans son article publié dans la revue Négociations en 2007, intitulé « Intervenir en tiers aujourd’hui », Elisabeth Volckrick interroge différentes manière de « faire tiers », notamment en médiation. Sa réflexion renforce une vision que(…)

- Ingrid Muller

Chapitre 1 : la médiation, au coeur des droits du patient parapluie ou porte-voix

La médiation, au coeur des droits du patient

Dans le secteur des soins de santé, la médiation s’inscrit au coeur des droits du patient. C’est en 2002 que la loi « droits du patient » est votée et qu’elle institue, à côté du droit(…)

-

Aux sources de la loi

Droit à l’information, droit au consentement libre et éclairé ou encore droit de se plaindre… C’est la loi « droits du patient » de 2002 qui consacre leur existence en Belgique. Mais la promulgation de cette(…)

- Marinette Mormont

L’organisation de la médiation

La fonction de médiation est prévue dans la loi dite « droits du patient » de 2002. Le médiateur a pour mission de restaurer ou faciliter la communication entre le patient et le praticien concerné par(…)

- Marie-Noëlle Verhaegen

Médiation, qui informe les patients ?

On imagine aisément qu’un patient ne se préoccupera de l’existence d’un service de gestion des plaintes qu’à partir du moment où il sera confronté à une situation lui posant problème. À partir du moment où il(…)

- Marie-Noëlle Verhaegen

Droits du patient, une conquête inachevée ?

Plus de dix ans après l’entrée en vigueur de la loi « droits du patient », comment celle-ci est-elle perçue ? Patients et médecins se sontils appropriés cette loi ? Quelles difficultés les médiateurs rencontrentils dans(…)

- Marinette Mormont

Médiation hospitalière, de la méfiance à l’adhésion

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, les hôpitaux doivent offrir un service de médiation hospitalière, soit en interne, soit en commun avec d’autres hôpitaux. Comment a(…)

- Caroline Doppagne

Chapitre 3 : maisons médicales, le pied sur le frein ?

La médiation, une question de confiance

S’engager dans une médiation, c’est faire évoluer la relation conflictuelle. Et cela est vrai quelle que soit l’issue du processus. Quelques ingrédients de base sont indispensable pour installer la confiance. Dominique Detilloux propose quelques réflexions et(…)

- Dominique Detilloux

Pouvoir, inégalités et contraintes dans la médiation familiale

Au vu de la nature des liens familiaux, la médiation familiale occupe une place toute particulière. Comment le pouvoir, l’autorité ou encore les inégalités se manifestent-ils dans ce type de médiation ? Quelles sont les contraintes(…)

- Aude Hachez

Chapitre 4 : Quand la médiation flirte avec d’autres concepts

Balayer devant sa porte

En 2012, les maisons médicales de la région liégeoise ont expérimenté la médiation. L’analyse des craintes qui se sont exprimées au cours de ce projet permet de décoder les enjeux de l’introduction de la médiation dans(…)

- Ingrid Muller

Maisons médicales, médiations-nous ?

A la question « Organisons-nous un service de médiation pour nos patients ? », Yves Nyssen se dit, en première intention : « Mais, bien sûr ! »… Puis deux histoires lui reviennent à l’esprit. Deux(…)

- Yves Nyssen

Bruxelles, rien à l’horizon…

Une expérimentation de la médiation a eu lieu en région liégeoise. Ailleurs, le projet a reçu un accueil très timide. Alors que les maisons médicales sont très attachées à la qualité de la relation avec les(…)

- Ingrid Muller

Médiation et promotion de la santé : réflexions

La médiation peut-elle soutenir la qualité, soutenir les processus de promotion de santé dans le secteur des maisons médicales, et à quelles conditions ?

- Marianne Prévost

Autogestion et médiation: ça rime ou ça rame ?

Suite à une erreur lors du processus de publication, le texte imprimé n’était pas celui souhaité par l’auteur, le voici dès lors ci-dessous. Pour explorer la place de la médiation dans le secteur des soins de(…)

- Gaëlle Chapoix

Quand la médiation flirte avec d’autres concepts

Nous l’avons vu, la médiation peut être au service d’objectifs divers : de la résolution de conflit aux changements sociaux en passant par la qualité des services ou leur co-construction… Les maisons médicales prêtent une grande(…)

-

Améliorer la qualité des soins : quelle place pour la médiation ?

La qualité des soins, au coeur de la grande majorité des plaintes dans les soins de santé est une notion très subjective. Parmi les différentes approches sur la qualité des soins, un point commun : la(…)

- Monique Ferguson

Maisons médicales, le pied sur le frein ?

À peu de chose près, le concept de médiation semble peu ancré dans la pratique des maisons médicales. Une expérience menée dans la région liégeoise a tenté d’expérimenter la médiation. Ailleurs, l’idée n’est accueillie que très(…)

-

Conclusion

Médiation, micropolitique et changement

En introduction à ce dossier, Ingrid Muller nous rappelait que les lois réorganisent le cadre dans lequel se vivent les relations. L’objectif de la loi sur les droits du patient serait ainsi de développer dans ce(…)

- Gaëlle Chapoix, Ingrid Muller

Chapitre 5 : les chantiers à venir

Des chantiers à venir

Cette contribution a un statut quelque peu particulier. Elle donne la parole à un représentant des patients, Fabrizio Cantelli ( coordinateur de la Ligue des usagers des services de santé, LUSS ). Après un petit détour(…)

-

La médiation en Belgique, à la lumière du Québec

C’est au regard du système québecois que Fabrizio Cantelli remet en perspective les défis quant à l’organisation de la médiation et du traitement de la plainte en Belgique francophone. Transformer les institutions de santé en prenant(…)

- Fabrizio Cantelli