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Accessibilité, qualité et expertise des usagers. Le point de vue de la Ligue des usagers des services de santé


Santé conjuguée n° 76 - septembre 2016

La Ligue des usagers des services de santé (LUSS) fédère plus de 90 associations francophones d’usagers et représente les patients auprès des autorités. Micky Fierens en est la directrice. La couverture universelle, définit- elle, est l’accès, pour tous et de manière inconditionnelle, à des soins et services de qualité. Une qualité qui doit être définie avec les patients.

Santé conjuguée : Comment continuer à améliorer la couverture des services de santé dans un contexte de restriction budgétaire ? Micky Fierens : À la Ligue des usagers des services de santé, l’accessibilité aux soins, aux services de qualité pour tous est une valeur de base. D’une manière inconditionnelle et avec une attention pour les plus démunis. Pour rendre cela possible avec un budget qui n’est pas extensible, il faut jouer sur les coûts en amont du remboursement. Qui détermine le prix des choses ? C’est notamment le secteur privé. On ne peut pas continuer à laisser ce secteur privé déterminer le coût des soins de santé et puis pallier au non accès, parce que les coûts sont trop élevés, par des remboursements payés par la collectivité. Il faut jouer sur les prix de départ. On parle ici du coût des médicaments, mais pas uniquement… Effectivement, cela concerne beaucoup les médicaments, mais d’une manière plus large, c’est aussi tout ce qui est produits médicaux, les sondes, les chaises roulantes… pour lesquels il y a pas mal de dérives. Les hôpitaux fonctionnent généralement avec leurs propres fournisseurs pour acheter du matériel, dans un respect parfois relatif des marchés publics. Cela a des conséquences au niveau des coûts, mais cela entraîne aussi un accès limité à certains produits, selon ce que l’hôpital propose. Or, certains de ces produits ont un impact sur la qualité de vie du patient. Pensons notamment au matériel nécessaire pour une alimentation entérale par sonde. Il existe plusieurs types de produits, présentant chacun des avantages et des inconvénients au niveau de la qualité et du confort. Mais bien souvent le patient ne sait pas que d’autres produits, que ceux fournis par l’hôpital où il se soigne, existent ! Travailler sur les coûts, c’est également agir sur les honoraires qui grimpent et que la sécurité sociale continue à rembourser pour que les gens puissent y avoir accès. C’est le cas, par exemple, pour les reconstructions mammaires après un cancer du sein. Les limites peu claires entre chirurgie reconstructrice et chirurgie esthétiques permettent la facturation d’honoraires très élevés, et font grimper le montant des remboursements pour que ces interventions restent payables pour les patientes. Aujourd’hui, l’ensemble des services nécessaires pour répondre aux besoins de la population ne sont pas couverts par un remboursement. Il existe des pathologies pour lesquelles les remboursements ne sont pas suffisants… Ce sont les associations de patients, nos membres, qui mettent en évidence les problèmes liés à certaines pathologies. Dans le domaine du handicap mental, par exemple, le syndrome X fragile (caractérisé par un retard mental qui se manifeste par des difficultés d’apprentissage et des troubles du comportement, NDLR) nécessite un suivi logopédique pour aider les jeunes à s’exprimer, à avoir une vie sociale, à progresser dans la vie. La logopédie est comprise dans un package de soins à l’hôpital, qui permet une accessibilité financière, mais ne laisse pas au patient le choix de son logopède. Cela peut nécessiter de grands déplacements et exclure certaines personnes, notamment en milieu rural. En dehors de ce « package » de l’hôpital, les séances de logopédie sont à charge des patients. Des parents témoignent pourtant de l’intérêt de ce suivi pour leur enfant atteint de ce syndrome, au niveau de la sociabilité de l’enfant et de son développement personnel. Autre exemple : la maladie de Verneuil (maladie cutanée chronique entraînant l’apparition de nodules, d’abcès et de fistules inflammatoires qui affectent certains secteurs comme les aisselles, l’aine, les fesses, les seins, NDLR.) Cette maladie a pour conséquence des plaies importantes qui s’infectent et qui nécessitent des soins très particuliers et des pansements performants. Tout cela a un coût important car les pansements les plus performants ne sont pas ou peu remboursés. De plus, peu de prestataires, d’infirmières connaissent les spécificités de ce genre de plaies et n’apportent de ce fait pas les soins appropriés. Cela soulève la question de la formation des soignants à la prise en charge de maladies moins courantes, ou moins connues…Une des manières de palier à ce manque est d’inviter les associations de patients dans les cursus des soignants, dans les formations continuées, afin qu’ils puissent bénéficier de l’expertise d’expérience des patients. L’association de patients « La Maladie de Verneuil en Belgique asbl » en est un bel exemple, en déployant une énergie impressionnante pour former les infirmières aux soins à apporter à ces plaies douloureuses L’accessibilité aux soins, ce n’est pas seulement une question financière… Un nœud important, c’est l’information. Il y a un manque d’information sur ce qui existe comme soins, comme services, comme remboursements. Le fonds spécifique pour les maladies chroniques, par exemple, est peu connu et les personnes qui pourraient bénéficier de cette aide financière n’y font pas appel. Mais qui détient cette information ? Qui fait en sorte que cela arrive au bon moment chez la personne qui en a besoin ? C’est très souvent dû au hasard. Un médecin généraliste, par exemple, qui a été confronté à cette question à un moment donné y sera attentif par après. Il pensera probablement à informer d’autres personnes qui se trouvent dans des situations similaires. Les services sociaux, et notamment ceux des mutuelles, ont aussi un rôle important dans la transmission d’informations sur les services existants. Encore faut-il que le patient pense à demander à parler à un autre service, ne se contente pas d’une première réponse obtenue. Comment agir sur ce manque d’information ? Les mécanismes automatiques sont déjà une bonne chose. Dans le cas d’OMNIO, les personnes démunies qui étaient le plus concernées par cette mesure n’étaient pas informées. D’autres mesures sont automatiques, comme le maximum à facturer (MAF). Par contre, ce n’est pas parce que c’est automatique qu’il ne faut pas informer la personne. Une personne qui n’est pas au courant de l’existence d’un remboursement risque de postposer un soin pensant que celui-ci est trop cher. Quels sont les bons canaux d’information ? Il faut qu’ils soient les plus diversifiés. On ne peut pas se contenter d’un seul canal d’information. Les mutuelles sont en première ligne, mais elles ont aussi leurs limites. L’INAMI fait beaucoup d’effort en la matière et propose l’information qui est la plus universelle. L’INAMI recueille aussi des informations touchant aux besoins qui ne sont pas rencontrés. Il y a une grande ouverture pour avoir le point de vue des patients, parce qu’ils se rendent compte que ce sont les patients les mieux placés pour détecter ce qui n’est pas pris en charge. C’est pourquoi ils ouvrent leurs instances. L’Observatoire des maladies chroniques a une section consultative composée de représentants de mutuelles et d’associations de patients ; il a permis de mettre en évidence des failles importantes. La responsabilisation est de plus en plus dans l’air du temps. N’est-elle pas un frein à l’accessibilité ? Notre position est très claire : la solidarité doit être inconditionnelle. Tout ce qui peut mener à l’exclusion de personnes sur base du comportement est absolument à proscrire. On le dit depuis longtemps. Il faut agir sur les conditions de vie des personnes plutôt que d’exclure les gens parce qu’ils ont des comportements considérés comme inadaptés. Actuellement, il n’y a pas, de la part de l’INAMI, de volonté d’avancer en ce sens. Mais derrière, il y a les politiques. On est dans une politique libérale pour le moment, avec un budget à gérer. La tendance à exclure des personnes sur base de leurs comportements, par exemple des fumeurs, commence à faire son chemin. D’une certaine manière, on est en train de préparer l’opinion publique et les médecins par rapport à cela. Le cas récent d’un nouveau traitement pour ralentir la fibrose pulmonaire remboursé à condition d’arrêter de fumer est éloquent. Or, on ne peut pas déplacer le curseur de cette solidarité. Si on commence à segmenter, on ne sait pas où cela va s’arrêter. L’accord de gouvernement promeut l’« auto-soins », l’autogestion de sa propre santé. Quel impact en termes de couverture ? C’est une idée très vaste. On parle d’empowerment, que l’on met à toutes les sauces. Pour les prestataires, cela peut vouloir dire « Je lui explique, puis il devient responsable de la manière dont il se comporte, de son traitement. » Pour les autorités, l’empowerment, c’est aussi éviter le gaspillage. Tout cela peut être intéressant, mais c’est très réducteur. L’auto-soins, c’est l’idée de rendre les gens plus acteurs de leur santé. Mais il y a ceux qui peuvent le faire et les autres. On peut aussi être très autonome à certains moments et pas à d’autres. Il ne faut pas que cela puisse se retourner contre le patient. À côté de cela, il y a toute cette question de l’accès à la technologie. Un marché énorme se développe pour proposer un nouveau matériel technologique, des applications… Cela pose beaucoup de questions. Les gens ne se rendent pas compte de toutes les traces que cela va laisser. Cela peut être intéressant, mais il ne faut pas que ce soit au détriment de la santé, ni de qui peut y avoir accès. Et puis on va en arriver à ne plus voir son médecin… Le nouveau « Plan de soins intégrés pour maladies chroniques » veut améliorer la qualité des soins sans en augmenter le budget… On est curieux de voir comment les choses vont se passer avec ce plan (le 2 février 2016, les ministres de la Santé publique des entités fédérées et de l’autorité fédérale ont présenté leur vision des soins intégrés pour les malades chroniques qui se concrétisera sous la forme de projets-pilotes visant le développement de soins intégrés. Un appel à candidature pour des projets-pilotes a été lancé. Voir l’article en rubrique page 4). La proposition qui est faite au terrain par le politique qui est de dire : « Proposez-nous des projets avec un système de financement différent, des soins de qualités, intégrés, en pluridisciplinarité tout en restant dans la même enveloppe budgétaire. » Le politique demande la solution au terrain : le budget ne peut pas évoluer, la qualité doit être meilleure et il doit y avoir une répercussion sur la santé publique. Il y a des choses qui sont financées aujourd’hui qui ne le seront plus demain. Est-ce que le terrain va arriver à travailler ensemble en faisant abstraction de ses propres prérogatives, avantages ? C’est à voir. Un point positif : les représentants des patients seront associés à la définition des indicateurs qui permettront d’évaluer les projets pilotes. Et les patients seront particulièrement attentifs à ce que leur vision de la qualité y soit intégrée ! Toujours concernant cet accès à des services de qualité, qu’en est-il de l’assurance autonomie, mise en place en Région wallonne ? Pour nous, ce n’est pas une avancée de délaisser un budget personnel, le budget d’aide aux personnes, pour lequel les personnes avaient une certaine autonomie dans son utilisation. Ce système avait des limites, il devait être revu. Mais il avait du sens, dans la mesure où les personnes pouvaient pallier à leurs propres manques. Les besoins des uns ne sont pas les mêmes que ceux des autres. Ici avec l’assurance autonomie, il va y avoir une voie unique de mesure de la perte de l’autonomie par la mutuelle, ainsi qu’une voie unique de proposition de services par la mutuelle. Quand on parle, d’un autre côté, d’empowerment, on est dans une contradiction totale. Ce qui est bien pour les patients doit être défini par les patients eux-mêmes.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 76 - septembre 2016

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