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A la rencontre des maisons médicales et de leur modèle autogestionnaire

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Santé conjuguée n° 45 - juillet 2008

Dans une société de plus en plus libérale où la liberté de l’individu, la compétition, la consommation sont les valeurs dominantes, comment les maisons médicales nées dans la mouvance des années 70 adaptent-elles le modèle autogestionnaire qui a « coloré » leur création et leur mode de fonctionnement ?

Nous avons été à la rencontre de plusieurs d’entre elles et dans une discussion ouverte, pointé ce qui reste aujourd’hui des valeurs essentielles du modèle autogestionnaire, les difficultés rencontrées et la créativité mise en place pour les surmonter. Il semble qu’il y a autant de manières de décliner l’autogestion qu’il existe de maisons médicales tant la disparité des personnes qui y travaillent est grande et tant le contexte dans lequel s’inscrivent ces maisons médicales est différent. Néanmoins, les maisons médicales restent des « modèles classiques » de l’autogestion. D’autres structures, proches des maisons médicales, comme l’intergroupe liégeois ou la Fédération des maisons médicales ont cette culture autogestionnaire de par le fait qu’elles attendent de leurs membres qu’ils participent à la recherche de moyens, qu’ils soient autonomes. Cependant elles ne se disent pas autogestionnaires. On peut s’interroger sur les raisons qui ont amené à ce choix, malgré l’environnement favorable. Mais ce n’est pas l’objet de cet article.

Les valeurs

L’autogestion au sein des maisons médicales a évolué depuis les premiers balbutiements. Mais au delà ces variations, de ces adaptations, il existe des valeurs fondamentales sur lesquelles tous s’accordent et qu’il nous semble important de relever : • L’autogestion implique une responsabilité de tous les travailleurs dans la politique de l’institution, une adhésion à l’objet social et une participation active à la réalisation de celui-ci. C’est dans ce cadre que se sont définies les chartes et que celles-ci sont régulièrement refondées, retravaillées avec les nouveaux arrivants ; • Elle signifie la démocratie participative avec la possibilité pour chaque travailleur de faire partie de l’assemblée générale ; • L’autogestion trouve ses racines dans l’égalité et la recherche de justice sociale ; • Elle nécessite la solidarité entre les travailleurs mais également la complémentarité technique et intellectuelle des différentes professions. Dialogue, échanges, partage, écoute sont les bases d’un fonctionnement optimal ; • L’autogestion a un lien direct avec la vision que l’on a de l’organisation des soins de santé. Vision non hiérarchique, transdisciplinaire où chaque travailleur a une place bien définie, indispensable reconnue et complémentaire.

Adaptation, variation du modèle au sein des maisons médicales

Le modèle autogestionnaire, nous l’avons dit n’est pas un modèle rigide, unique mais plutôt une philosophie, une culture, un concept qui, soumis aux tensions internes et aux réalités du monde extérieur est amené à évoluer, à s’adapter. Cette rencontre avec le terrain nous a permis de passer en revue quelques-unes de ces adaptations et les questions qu’elles ont suscitées. Toutes ces maisons médicales, en fonction soit d’interpellations extérieurs, soit après analyse de difficultés, soit par souci de maintenir constamment sous tension le projet fondateur, ont construit des modèles mieux adaptés. . Au sein des organes de décision Dans une maison médicale, c’est le comité de patients qui a été moteur de changement. Souhaitant s’impliquer plus activement dans la gestion de leur structure, ils ont demandé de participer à l’assemblée générale et au conseil d’administration. Après réflexion, ils ont opté pour une représentation du comité de patients au sein de l’assemblée générale avec voix consultative mais les patients ne peuvent être élus administrateurs. Pour permettre à ceux-ci une plus grande participation, il y a quatre assemblées générale par an où sont discutés les axes de travail. Ce mode de fonctionnement permet la triangulation, le regard extérieur. Et si, dans cette organisation, le pouvoir n’est plus entièrement aux mains des travailleurs, la richesse de l’interface semble plus bénéfique. Une maison médicale a intégré des membres extérieurs dans son assemblée générale mais seulement avec une voix consultative de peur que ceux-ci ne garantissent pas de la même manière le maintien de l’objet social. Pour d’autres, leur présence en est le garant. D’autre structures vont plus loin encore et incluent des membres extérieurs, non travailleurs dans leur conseil d’administration en soulignant toujours le caractère positif du regard critique. Le choix des extérieurs, patients dans certains cas, membres du réseau dans d’autres, doit être fait en assemblée générale et le nombre de ceux- ci ne doit pas dépasser un certain quota pour que le pouvoir reste aux mains des travailleurs Dans une autre équipe, assemblée générale, conseil d’administration et équipe se confondent. Tout le monde a droit de vote. « Au delà » de cette structure il y a un conseil de sages élu par l’assemblée générale ; celui- ci, dont le seul pouvoir est consultatif est garant de l’objet social. Ce fonctionnement pose questions et l’équipe s’interroge sur la pertinence d’inclure des extérieurs dans les organes de décision.

. Dans l’organisation de l’équipe

D’autres difficultés, liées à la structure de l’équipe ou à l’évolution de la société ont été soulevées dans la discussion et ont suscité quelques réflexions constructives.

L’autogestion : avoir la liberté de choisir « sa hiérarchie » ?

L’autogestion peut être plus ou moins bien vécue en fonction de la manière dont elle est gérée dans l’équipe. Elle ne peut exister dans un système hiérarchique. Cela ne signifie pas pour autant que toutes les décisions doivent être prises par toute l’équipe mais que les lieux de décisions doivent être clairement identifiés tout autant que les rapports de l’équipe avec les organes de gestion. D’autre part, un professionnalisme de la gestion se fait sentir. Les équipes sont de plus en plus grandes ; la législation se complexifie. Cette professionnalisation souhaitée « se confronte » au mode actuel de gestion des ressources humaines qui, mal utilisé, pourrait aller à l’encontre de notre vision autogestionnaire. Néanmoins, la gestion des ressources humaines pourrait être un outil au service de l’autogestion comme l’explique l’article paru dans le hors série de Politique, hors série n° 5 de septembre 2006 (voir encadré page suivante). « La place de la gestion des ressources humaines dans l’économie sociale est paradoxale. Elle est un enjeu fondamental, puisque, dans le monde associatif, le travail prime sur le capital, et que les ressources humaines sont la principale ressource. Et cependant, elle est un domaine de gestion peu développé, essentiellement informel, avec peu de recours à des formations et des outils spécifiques. Il existe pourtant des outils spécifiques à la gestion des ressources humaines en économie sociale et notamment autour de ces trois enjeux : • la diversité des ressources humaines : diversité des modalités de travail (non spécifique au seul secteur de l’économie sociale), diversité de nature de la relation avec l’institution (salariés, indépendants, bénévoles). Cette diversité est spécifique à l’économie sociale et mérite une adaptation des outils ; • la gestion démocratique : l’opérationnalisation du modèle peut être soutenu par la gestion des ressources humaines ; • la motivation et l’implication du personnel, tel le partage des valeurs, l’autonomie et la convivialité ».

Questionnements récurrents et nouveaux

. La question de l’égalité L’autogestion s’appuie sur le principe d’égalité. Certains parleraient davantage de justice sociale. L’égalité peut évidemment être vue selon différents points de vue. S’agit-il de traiter tout le monde strictement de la même manière et à tous les niveaux ? Ou doit-on se diriger vers ce que certains appellent l’équité en différenciant les droits et devoirs en fonction d’éléments comme le temps d’investissement, la compétence, le niveau d’engagement, etc. Mais comment alors, soutenir la notion de complémentarité entre les individus et éviter les glissements vers une hiérarchie de pouvoir ? Concrètement, bon nombre de maisons médicales fonctionnent selon le principe : un homme = une voix. Qu’en est-il des temps de travail différents ? Des travailleurs qui exercent dans plusieurs maisons médicales et qui, dès lors, ont plusieurs voix pour un même temps de travail ? Est-on tous leaders ? Comment garantir l’égalité dans une équipe entre les « locomotives » et les wagons ? Comment garantir la prise de parole de tous ? . La question de l’égalité salariale Le principe d’égalité pose également la question plus sensible de l’égalité salariale. Les maisons médicales autogérées, surtout dans la région liégeoise, ont réfléchi et mis en oeuvre des politiques d’égalité salariale entre travailleurs. Cet élément est évidemment questionnant car peu courant. D’une part, on peut se poser la question de savoir si le principe d’égalité est applicable sans cette mesure : peut-on être égaux si les salaires des uns et des autres diffèrent. Comment tenir compte de la pénibilité de certaines professions, de la plus grande responsabilité des uns ? D’autre part, selon certains, l’autogestion se trouve mise à mal par une certaine aisance financière. Il est plus facile d’être solidaire quand on a peu de moyens, quand on doit se serrer les coudes. Enfin, la gestion s’est également complexifiée par les accords du non marchand qui ont mis à mal l’égalité salariale appliquée dans de nombreuses équipes. Comment maintenir cette valeur et rester dans la « légalité ». Quels aménagements possibles ? Aujourd’hui, il n’existe pas de barèmes pour la fonction médicale en ambulatoire. Une adaptation est appliquée dans certaines maisons médicales en alignant tous les salaires au barème le plus élevé. D’autres ont choisi l’écrasement de l’échelle des barèmes. Réponses parmi d’autres, apportées pour tenter de rester le plus « égalitaire possible », condition sine qua non de l’autogestion pour les maisons médicales rencontrées . L’évolution de la société et des valeurs Il est important de toujours requestionner nos valeurs, nos chartes et leur application dans le quotidien pour éviter de se laisser entraîner par le courant du libéralisme. Ce requestionnement est d’autant plus nécessaire que les équipes se renouvellent, se rajeunissent, que la manière des uns et des autres d’exprimer leur analyse de la société et de leur valeur diffère et qu’un partage est nécessaire pour une compréhension mutuelle.

Regard à venir

Il n’y a pas de réponses toutes faites à ces questions. Elles soulignent la nécessité de rester dans le dialogue et à l’écoute des uns et des autres, la nécessité de partage des responsabilités et de formation. Et même si l’autogestion n’est pas la panacée, même si elle est parfois lourde à porter, si elle est à contre-courant de la société – ou surtout parce qu’elle est à contre-courant – les participants à ce débat souhaitent continuer de fonctionner selon le modèle autogestionnaire. Un modèle autogestionnaire en évolution permanente. L’autogestion est une nécessité, une obligation pour un autre projet de société. Et ce monde meilleur ne se construira que si des structures comme les maisons médicales acceptent d’aller à contre-courant. .

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 45 - juillet 2008

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